POURQUOI LES SUPPORTERS ONT LA VIE DURE

La phase finale de l’Euro 2016 à 24 équipes, d’abord conçue pour faire du cash, a eu aussi pour grand mérite de révéler en France une réalité soigneusement enfouie. Le foot, c’est aussi des supporters qui sont légions, cortèges, couleurs, chansons, animations et qui peuvent se mélanger.

Dans les cinq grands championnats européens, les supporters s’organisent afin de faire vivre leur passion face à une double menace. Le foot business qui préfère les consommateurs passifs et l’arsenal répressif frappant souvent trop large. En France, il leur faut s’organiser afin de briser le mur institutionnel et étatique qui les ignore ou les caricature. En Grande Bretagne et en Allemagne, où la participation des supporters dans les clubs est un acquis, ils le défendent et le font progresser sans cesse. En Italie et en Espagne, où les rivalités compliquent la fédération des supporters, c’est localement, dans les divisions inférieures, qu’ils s’impliquent dans la gestion des clubs. Aux Etats-Unis, des supporters suivent l’exemple britannique, s’opposent au foot business, cherchent à gérer ou gèrent des clubs.  


Ligue 1: finie la doctrine Boutonnet ?

218 matches ! En 2015/2016, 218 matches ont fait l’objet d’une interdiction de déplacement pour des supporters, dont 155 arrêtés résultant de l’état d’urgence. Une mesure appliquée pour la première fois en 2011/2012 et qui a connu une croissance de plus de 7.000% en cinq ans.

Une application de la doctrine Boutonnet, du nom du commissaire de police qui dirige la DNLH (Direction Nationale de Lutte contre le Hooliganisme, créée en 2009 auprès du Ministère de l’Intérieur).

Une doctrine contenue dans deux déclarations d’Antoine Boutonnet, lesquelles illustrent son action et ses préconisations.

« Aujourd’hui, les ultras ont une relation plus qu’ambiguë avec la violence en France et en Europe. Il faut faire attention avec ceux que l’on appelle Ultras. Un certain nombre de groupes de supporters s’autoproclament ultras et n’en ont que le nom ».

« Se déplacer pour aller supporter une équipe n’est pas une des libertés fondamentales ».

Paranoïa et amalgame pour la première déclaration et,  pour la deuxième, contradiction absolue avec l’Article 13 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme : « Toute personne a le droit de circuler librement ».

En février dernier, sur le site caennais « We Are Malherbe », Caen Did a écrit un texte qui disait tout de la condition de supporter de foot en France aujourd’hui.

Un extrait :
« Et puis un matin, on se réveille et l’on apprend que les supporters sont visés. Les ultras avaient prévenu, car eux avaient lu les arrêtés préfectoraux, avaient publié des communiqués, avaient tenté des actions en justice, avaient protesté, manifesté, scandé leur colère sans jamais être écouté. La minorité, ce ne sont pas les ultras mais les amateurs de football. Et parmi les amateurs de football, la frange à bannir ce sont les supporters. En chantant avec les ultras, en affichant les mêmes couleurs, en les soutenant parfois, ils se sont eux-mêmes condamnés. »

A l’heure de la mondialisation du foot, des propriétaires étrangers aux capitaux offshore logés dans des paradis fiscaux, les supporters sont les rares sinon les derniers à défendre le concept de patrimoine. Les joueurs passent, les propriétaires font du trading, seuls les Ultras défendent l’ancrage local.

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La Brigade Loire à Nantes

Ils sont des empêcheurs de capitaliser en rond, des radoteurs avec leurs références historiques surannées. Encore plus gênants lorsque les supporters organisés veulent demander des comptes, connaître les vrais chiffres les concernant,  la vérité de la gestion et des comptes des clubs, s’y impliquer et même chasser des propriétaires indélicats et/ou incompétents afin de gérer les clubs à leur place.

Antoine Boutonnet incarne depuis bientôt sept ans l’inculture congénitale des institutions et de l’Etat en France à propos du football et des supporters. Plus de trente ans après l’apparition des Ultras dans les virages et les tribunes, aucun travail sérieux n’a été fait au niveau étatique et dans les instances sportives pour différencier la palette des supporters et appliquer une politique adaptée. Méconnaissance, donc incompréhension. Ce qui n’excuse pas la faculté laissée depuis sept ans à Antoine Boutonnet et la DNLH d’appliquer des méthodes de pandores à gros godillots que l’Euro a révélé au-delà de nos frontières.

Selon eux, s’ils sont organisés, les supporters ne peuvent être que dangereux. Une sorte de corps malade dans un sport où on vient se montrer l’écharpe au cou dans la tribune officielle du Stade de France  quand les Bleus gagnent. Il y a trois ans Valérie Fourneyron, ministre des sports, avait même zappé les supporters dans sa prospective :

Pendant les débats sur la Loi Larrivé, Thierry Braillard, secrétaire d’Etat aux Sports, a repoussé mécaniquement tout amendement ou presque des sénateurs et sénatrices s’opposant à l’atteinte aux libertés publiques des supporters. Prêt à adopter le texte initial, il a surfé en route sur l’ouverture au dialogue aux supporters, feignant d’en être l’initiateur.

Dans la doctrine Boutonnet, puisque les supporters organisés sont dangereux, on ne leur parle pas, ils n’existent pas.  Stuart Dykes est consultant pour Supporters Direct Europe (, branche continentale d’une organisation créée par le gouvernement britannique afin de faciliter les relations entre supporters et clubs. Son constat est éclairant :
« En France,  jusqu’ici il n’y avait absolument aucun dialogue entre les supporters et les autorités du football. Par exemple L’Equipe  a titré un article en février 2015 sur les chaises vides de Le Graët et Thiriez aux assises du supportérisme au Sénat. Je devais avoir une réunion privée il y a moins de deux ans à la Fédération. Mais elle n’a jamais eu lieu….L’autre point sensible c’est l’approche de la sécurité. Ce qui est vraiment marquant c’est que les autorités acceptent maintenant l’idée de dialogue. Mais le dernier endroit qui résiste à cette idée c’est au niveau policier. La France est très en retard  en termes de dialogue alors que cela a beaucoup progressé dans le reste de l’Europe. »

La doctrine Boutonnet a pu prospérer sur deux piliers. L’insensé, vu leurs fonctions, désintérêt absolu de Noël Le Graët (Fédération) et Frédéric Thiriez (LFP) pour la question des supporters, jamais sanctionné par leur autorité de tutelle étatique.

Deuxième pilier, un contexte sécuritaire propice aux interdictions en tout genre avec d’abord les rivalités violentes entre fractions rivales de supporters du Paris SG et plus récemment les attentats et attaques provoquant l’état d’urgence.

La doctrine Boutonnet a eu pour laboratoire le Paris Saint Germain. La DNLH a été créée en octobre 2009, quelques mois avant le plan Leproux  mis en œuvre suite en particulier au décès de Yann L. décédé suite à des affrontements entre supporters des tribunes Boulogne et Auteuil. Il s’en est suivi un fichage « sauvage » des supporters du Paris SG par le club dans des conditions condamnées par la CNIL .

 

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© DR Antoine Boutonnet ( à droite)et le trophée de champion du Paris SG

Il a été établi que le commissaire avait noué avec le club parisien une relation plus étroite que sa fonction ne l’autorisait. En particulier à deux reprises. Mediapart dans une enquête très complète (“Quand la police aide le PSG à trier ses supporters”), a publié une photo d’Antoine Boutonnet brandissant, en mai 2013 lors d’une fête privée du club parisien, le trophée de champion de France de L1. La veille il avait déjà célébré le titre dans un bar de nuit avec le club, en compagnie  de Jean Philippe d’Hallivillée, directeur de la sécurité du Paris SG. D’Hallivillée et Boutonnet sont par ailleurs visibles ensemble dans un sujet d’Enquête de foot de Canal Plus: Enquête de Foot « Parc des Princes, Ultra(s) select »  à partir de la 11e minute: https://youtu.be/6M5v59hvmg8

Ils sont devant le stade Louis II le 9 février 2014 avant un match Monaco-Paris SG en L1. Ce soir-là, le club parisien commet un acte, décrété illégal par la CNIL, en refusant l’accès au stade à des supporters du Paris SG munis de billets valides. Antoine Boutonnet, commissaire de police est témoin de cet acte qui consiste à utiliser un fichier interdit par la loi.

Il devait, en tant que fonctionnaire de police, soit faire mettre fin à cette acte soit mettre en œuvre l’article 40 du Code de procédure pénale qui stipule : « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. »
Antoine Boutonnet n’en fera rien et Hermann Ebongué, vice-président de SOS Racisme, à Monaco ce soir-là en compagnie de D’Hallivillée et du patron de la DNLH en tant qu’invité du club parisien n’y verra non plus rien à redire. Il s’en prendra même en octobre 2014 aux supporters lésés attaquant le Paris SG en justice :

La Division dirigée par Boutonnet effectuera même elle-même un acte contesté par la CNIL, si l’on en croit un communiqué du club d’Evian Thonon Gaillard, lequel précisait  le 26 avril 2013 que c’est la Division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH) qui  lui avait transmis la liste des supporters du Paris SG dont les billets devaient être annulés.

La CNIL ayant condamné ces pratiques, la volonté du Paris SG de continuer à ficher et exclure des supporters s’est alors manifestée dans la rédaction du projet de Loi Larrivé. Son article 1 était en au départ très exactement calibré pour le club parisien et suivait la doctrine Boutonnet. Il visait en effet “toute personne susceptible de troubler le bon déroulement d’une manifestation sportive”, soit la porte grande ouverte à tous les arbitraires.

C’est là qu’est intervenue la riposte de l’ANS (Association Nationale des Supporters) qui regroupe une trentaine de groupes. Ignorés par les députés en première lecture, les représentants des supporters ont été  auditionnés au Sénat, en particulier grâce à l’action de Pierre Barthélémy, avocat de l’ANS et de l’ADAJIS, Association de Défense et d’Assistance Juridique des Intérêts des Supporters (du Paris SG). Son mémo de 40 pages a été fourni à tous les groupes du Sénat et plusieurs réunions de travail ont été organisées avec lui et des représentants de l’ANS, auditionnée au Sénat de même que l’ADAJIS, l’ ADDSUNA (Association de défense des supporters de Nantes) et « Lutte pour un football populaire »

 

Grâce à l’intense travail des supporters auprès des sénateurs, le texte de Loi Larrivé a alors été  vidé des moyens de fichages et d’interdictions à l’aveugle dans son article 1. Le texte final, avant décret d’application instaurait dans chaque club professionnel un référent chargé d’assurer des échanges avec les associations locales de supporters, une exigence de longue date de l’UEFA. Au niveau national, le texte créait une instance du supportérisme, dont un décret viendra préciser la composition et le périmètre d’action.
Une loi adoptée fin avril dans un contexte particulier. Après de longs mois de contestation de la DNLH et des interdictions de déplacements dans les virages et tribunes et quelques semaines avant l’Euro 2016.

10629328_1566094640311626_2565009860459284899_oLa contestation s’amplifie depuis des années face à l’opacité et la crédibilité des chiffres sur la violence dans les stades de la DNLH et du ministère de l’Intérieur. Le 9 juin dernier Mireille Jouve, sénatrice RDSE, a posé une question écrite au ministre des Sports afin de « connaitre le nombre d’interdiction ou de restrictions de déplacements observées dans les quatre principaux championnats européens (Allemagne, Angleterre, Espagne et Italie) ». Sans réponse.

 

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fEn revanche, les chiffres des interdictions de déplacements sont connus. Une surévaluation manifeste de la dangerosité potentielle des supporters, une population que les forces de police ne comprennent pas d’où des excès de brutalité, comme l’utilisation du  flash-ball. Une utilisation qui a occasionné des blessures graves à Montpellier (2012), Lyon (2014). Son usage a été contesté mais semble avéré à Reims en février pour une autre blessure grave. Le flash-ball a par ailleurs été utilisé au Havre en janvier en usage disproportionné, suite de plus à un changement de procédure d’arrivée au stade non signalé aux supporters lensois.

Comme le relève Caen Did dans son texte, le supporter se voit parfois, sinon souvent, appliquer un régime qui n’est pas celui des autres citoyens, par exemple sur  le droit d’opinion. C’est ainsi que le club de Saint Etienne a dû payer une amende de 5.000 € (au lieu de 25.000 € après appel) suite à des banderoles à l’adresse du Paris SG au stade Geoffroy Guichard en janvier dernier.
Des banderoles apparues dans la tribune des Magic Fans, une groupe en pointe dans le combat pour la défense des Ultras et contre la doctrine Boutonnet. Pendant l’Euro, des supporters croates opposés à leur Fédération ont créé des incidents au stade Geoffroy Guichard lors de République Tchèque-Croatie. Les Magic Fans ont alors été accusés d’avoir fourni un soutien logistique à ces supporters, en particulier en entreposant des fumigènes au stade. Accusations portées par des responsables croates de la sécurité. Qui leur a fourni ces informations qui se sont avérées fausses ? La DNLH ?

La dérive sécuritaire boulimique de la doctrine Boutonnet a connu une première pause avec l’écriture finale de la loi Larrivé sur le supportérisme, qui ouvre la porte au dialogue. L’Euro 2016 a constitué une autre occasion de pointer l’action ou l’inaction de la DNLH. Avec d’abord une claire sous-évaluation de la dangerosité des hooligans russes couplée avec la non prise en compte de cette donnée : la fin de l’interdiction de sortie de territoire pour un millier de hooligans anglais.

Lesquels ont vu dans la programmation du match Angleterre-Russie à Marseille l’occasion d’une revanche après les affrontements d’Angleterre-Tunisie à la Coupe du Monde 98. La DNLH aurait évidemment dû déconseiller l’implantation de ce Angleterre-Russie à Marseille.

Nombreuses interdictions de déplacement,  usage disproportionné de la force, les services français du maintien de l’ordre ont clairement été pris au dépourvu au début de l’Euro et à Marseille en particulier. Ce qui est apparu aux spécialistes et aux médias étrangers.

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La doctrine Boutonnet a alors subi un double revers. Un changement  d’approche du maintien de l’ordre décidé par le Ministère de l’Intérieur et ce constat : des milliers de supporters dans les rues, en cortèges des centres villes aux stades, mélangés et sans incidents, un spectacle ridiculisant les centaines d’interdictions de déplacements décrétées avant l’Euro.

Antoine Boutonnet et la DNLH n’ont pas marqué des points. Que va-t-il en être de l’avenir des supporters ? Ils sont désormais reconnus comme interlocuteurs, avec la création d’une Instance Nationale du Supportérisme.  Didier Quillot, le nouveau président de la LFP, s’est dit opposé aux interdictions de déplacements et a manifesté son intention de prendre en considération les supporters :

Reconnus, entendus, représentés, les supporters sont à priori en meilleure situation pour la saison 2016/2017. Ils ont appris la prudence. Il leur faudra en effet se montrer vigilant quant à l’application de la loi Larrivé les concernant. Grâce à leur action, ses aspects les plus nuisibles ont été écartés. Il reste des motifs de vigilance.

Dans le numéro 6 de « Droit Pénal » de juin (Revues JurisClasseur), Pierre Barthélemy en pointe plusieurs :

« -Le glissement de compétences régaliennes d’ordre public vers des personnes morales de droit privé, poursuivant des intérêts propres, notamment économiques (…), un périmètre encore incertain, la consécration des pouvoirs de police administrative au détriment de l’autorité judiciaire ».

Mais il relevait les avancées globales du texte : « La reconnaissance juridique du supporter comme acteur du sport, la création d’un statut de supporter, la fin d’une acception purement répressive, le statut de supporter comme instrument de lutte contre le hooliganisme ».