“Ma théorie, c’est que jamais Manchester City n’aurait été racheté par Abu Dhabi sans Oasis”
Journaliste à l’Equipe, Pierre-Etienne Minonzio aime l’Angleterre, le foot, la musique. Etudiant, il a passé un an à Manchester sur les terres de City et d’Oasis, mais aussi d’United et de The Stone Roses. Il a écrit un ouvrage référence: “Petit manuel musical du football” (chez Le Mot et le Reste).
Dans ses recherches, il a mis la main sur un trésor, des exemplaires du fanzine du jeune (15 ans) Pete Doherty (The Libertines, Babyshambles) grand fan de Queens Park Rangers, des exemplaires aujourd’hui très recherchés.
Pierre-Etienne a aussi conduit un documentaire pour l’Equipe Explore, au titre évocateur : “Manchester, des briques, du rock, du foot”, avec quelques grandes figures locales de la scène musicale et footballistique. Un témoin passionné de cette Angleterre du foot.
A Suivre: Chants, fanzines, sites web, magazines, livres, vidéos, arts graphiques: toute la culture et contre culture des supporters anglais. Autres volets de la condition des supporters (Italie, Espagne, Etats-Unis).
Comment est venue cette opportunité d’aller étudier en Angleterre ?
“Pendant mes études on m’a donné l’occasion, comme pas mal de gens de ma génération, de passer une année à l’étranger. Ce qui était drôle c’est que dans mon école, tout le monde voulait aller genre à Sydney, Washington. Moi j’ai dit : je veux aller à Manchester. Il y avait deux places pour aller là bas et un seul candidat, donc j’étais le seul assuré d’aller où je voulais ! Cette année là, 2002/2003, a donc été exceptionnelle pour moi en alliant mes deux passions, foot et musique. Tout en étudiant, j’ai pu voir énormément de matches et de concerts.
Pourquoi Manchester ?
Je me disais que j’étais complètement frappadingue de foot et de rock et qu’à Manchester, j’étais certain d’avoir les deux ! Et par ailleurs, je nourris une obsession quasi maladive pour le groupe Oasis. J’ai grandi, j’ai appris l’anglais avec eux, le jour où j’ai interviewé Noël Gallagher, mon cœur s’est arrêté, donc il y avait aussi un côté pèlerinage d’être dans la ville où ils ont grandi. Parmi mes petits boulots, je bossais dans les buvettes des stades, aussi bien à Maine Road qu’à Old Trafford, à servir des “meat and potato pie”, des horreurs que seuls les Anglais peuvent manger. L’avantage, c’est qu’en deuxième mi-temps je pouvais filer dans les gradins.
J’ai eu la chance comme ça d’assister au dernier match qui a été disputé à Maine Road le 11 mai 2003. Un grand souvenir qui m’a beaucoup marqué parce que c’est vraiment un stade de l’ancien temps comme l’était Highbury. Une assistance très dense, les spectateurs très près du terrain où il y avait une ambiance incroyable. Et c’était au milieu du quartier de Moss Side qui est un coupe gorge, ce stade avait vraiment un charme incroyable. Pour ce dernier match, il y avait plein de papys qui pleuraient et le truc qui m’a vraiment plus c’est qu’à la fin il y a eu un concert vraiment top. Il y avait notamment Badly Drawn Boy et Doves, je les adore. La sono n’était pas top mais c’était vraiment génial. Je me souviens qu’après je marchais en me disant qu’il n’y a que les Anglais pour faire vivre un truc pareil, que j’avais une chance folle d’avoir vécu ça.
Les Anglais ont un rapport différent que nous avec la musique populaire. Nous on est souvent un peu gênés avec ça, entre ce qu’ écoutent les gens et ce qu’ils reconnaissent écouter. En Angleterre cela n’existe pas du tout. Le foot et la musique ça participe de la même culture donc même les petits vieux à Maine Road, ils reprenaient “Wonderwall” avant les matches, ils chantent beaucoup plus simplement que nous.
Ce qui explique la fameuse playlist diffusée par Manchester United avant les matches à Old Trafford…
Les Anglais ont développé un truc sur lequel nous on est vraiment en retard, ils réfléchissent à l’accueil spectateurs, en Ligue 1 on est à la rue total. Les Anglais ont développé une stratégie sur la musique avant les matches. Donc Manchester United tweete la playlist avant chaque match comme on tweete la composition de l’équipe.
Et eux comme Manchester City passent des chansons d’artistes locaux pour bien rappeler l’identité du club. Donc le spectateur est fier de voir jouer son équipe de Manchester et il entend des groupes du coin.
Oasis à Maine Road, un rêve abouti ?
Un de mes rêves c’était ça, oui, mais les deux concerts mythiques d’Oasis c’était avant, en avril 96. Le premier jour où je suis arrivé à Maine Road, j’ai failli défaillir parce que il y avait une vidéo qui avait été faite, que j’avais achetée quand j’étais gamin, dont le titre était “There and Then”, c’était un live d’Oasis à Maine Road.
Un soir à Manchester, j’ai rencontré un gars qui était à ce concert, j’étais prêt à lui racheter son ticket, il n’a pas voulu me le lâcher ! En fait Oasis je les ai vu jouer plusieurs fois, mais jamais à Manchester.
Comment née cette passion pour ce groupe irlandais, The Hitchers ?
Quand j’ai préparé mon bouquin, manuel musique football, j’ai eu d’écouter presque toutes les chansons qui ont été faites sur le foot. Par exemple, rien que que sur le site “Bides et Musique”, il y a des centaines de chansons. Cela peut être l’hymne de Montceau les Mines quand ils ont fait une aventure en Coupe de France.
Ce qui donne ça:
http://ftp.encyclopedisque.fr/song/15460.html
J’ai tout écouté pour voir s’il y avait des trucs intéressants. Au bout d’un moment j’ai commencé à déprimer parce que c’est rarement intéressant musicalement.
Et complètement par hasard, après trois accords de guitare, j’ai trouvé un morceau qui était bon: “Strachan” par “The Hitchers” Et après en étudiant les paroles je suis tombé amoureux fou de cette chanson.
Paroles Strachan : https://www.flashlyrics.com/lyrics/the-hitchers/strachan-01
C’est un hommage au joueur écossais Gordon Strachan (Manchester United, Leeds, Ecosse dans les années 80 et 90) et j’avais trouvé géniale la mise en scène de la chanson. C’est un mec à qui sa copine lui dit : “tu regardes encore du foot ? Et il lui répond : « c’est pas du foot mais de l’art, Gordan Strachan, c’est un artiste ». Elle : « Là tu dis n’importe quoi ». Les paroles sont splendides et je pense que c’est la plus belle chanson qui a été écrite sur le foot. Ce qui est génial en plus c’est que le groupe, des Irlandais, est totalement inconnu.
J’ai essayé de les contacter, ils ne répondent pas. Il y a juste une interview qui traîne sur internet et ça rend le truc encore plus mythique. Cette interview c’est ce qui m’a fait me rapprocher de ce site, “Football and Music”. http://www.footballandmusic.co.uk/strachan/
Depuis j’échange avec le webmaster, un Anglais qui vit aux Etats-Unis et qui a l’air de s’emmerder là bas. Il est extraordinaire, il a la même obsession que moi mais puissance 10 ! Il recense tout, une fois il m’a demandé une chronique en anglais sur l’album de chansons pour enfants de Joël Bats. Il l’a publiée en écrivant : le très célèbre journaliste de l’Equipe en exclusivité, il est complètement cinglé !
De quelle manière s’exprime le rapport particulier entre Manchester, le foot et la musique ?
Ce que je trouve extraordinaire, c’est comment Manchester City est en train de se construire une identité autour du rock. Le club est complètement traumatisé par United, par ses trophées et le fait que ça soit la troisième marque de sport la plus connue au monde. A City, ils ont réfléchi à la manière de se constituer une identité propre. Ce que j’ai montré dans le documentaire de l’Equipe Explore: “Manchester, des briques, du rock, du foot” (http://www.lequipe.fr/explore-video/manchester-briques-rock-et-foot/).
City fait des concerts avant les matches, à côté du stade. La stratégie globale c’est d’avoir à côté du foot, la promotion de groupes locaux. Pour être honnête, cela ne marche pas tout le temps, mais la démarche est vraiment géniale. Après il y a aussi la manière dont ils utilisent Noël Gallagher comme ambassadeur.
Cet été il a été quasiment le premier à parler publiquement à Pep Guardiola sur les réseaux sociaux…
Il a été le premier, et l’interview elle est géniale, je conseille à tout le monde la regarder, cela dure vingt minutes. A un moment ils parlent d’un artiste que Pep Guardiola aime bien, Gallagher lui dit que c’est de la merde, c’est à mourir de rire.
Manchester United est moins marqué rock que City ?
Oui mais en même temps ils en ont moins besoin. City, au milieu des années 90, ils étaient vraiment inconnus au niveau international. A ce moment là, Oasis c’était à ce moment là le plus grand groupe du monde. Et ma théorie, c’est que peut être jamais Manchester City n’aurait été racheté par Abu Dhabi sans Oasis. Parce que Oasis a construit l’image internationale de City. Quand Liam Gallagher était sur scène au Japon, il portait le maillot du club. Du coup les fans japonais ils en ont acheté en pensant que c’était du merchandising officiel d’Oasis ! C’est pour cela qu’aujourd’hui, quand City met Noël Gallagher en avant comme sur la vidéo avec Guardiola c’est une sorte de renvoi d’ascenseur. Mais sur Manchester United, il y a quand même pas mal de groupes qui sont à fond comme The Stone Roses dont trois membres sont fans à un point totalement maladif !
Donc comme Pete Doherty avec Queens Park Rangers…
Il y a un fanzine sur lequel j’ai beaucoup bossé, celui qui avait été créé par Pete Doherty, une histoire complètement folle. Il est aujourd’hui un des artistes les plus connus au monde, ex de Kate Moss et quand il avait quinze ans, il était tellement frappadingue de Queens Park Rangers qu’il a créé un fanzine. Un truc tiré à 200 exemplaires qu’il photocopiait lui-même et distribuait à la sortie des matches de Loftus Road. Cela montre bien comment un anglais peut être complètement fou de son club. Le fanzine s’appelait « All Quiet in the Western Avenue », un jeu de mots avec « A l’Ouest rien de nouveau ».
Rien que d’avoir trouvé ce titre là, c’était déjà génial. Il a fait quatre ou cinq numéros qui valent maintenant une fortune parce que tous les fans de Doherty veulent trouver ces témoignages de son génie pré-adolescent. J’ai retrouvé le gars avec qui il faisait le fanzine, il m’en a donné deux et c’est absolument génial. Ce qui est fascinant avec QPR c’est qu’ils n’ont gagné qu’une Coupe de la Ligue et donc le fanzine ne faisait que revenir là-dessus : qui jouait cette finale, qui étaient les grands joueurs de cette époque etc…
Doherty faisait tout, il écrivait, dessinait. Il faisait un faux courrier des lecteurs ! Il y avait un coupon sur lequel il était écrit: « si vous le découpez, vous aurez un kebab gratuit chez Big Bob Kebab House ». Après il publiait un courrier, écrit par lui, qui disait : « J’ai découpé le coupon, mais je n’ai pas trouvé le kebab ! » Et Doherty (se) répondait : « Jeune homme, c’est juste à côté du stade, ouvrez les yeux, on n‘a pas de temps à perdre avec vos jérémiades ». Doherty ne donne jamais aucune interview, mais moi j’ai ça, et je suis sûr que je vais finir par l’avoir, en lui montrant ses fanzines, ça va le renvoyer à sa jeunesse !”