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2011-2016: LES CINQ ANS QUI ONT TOUT CHANGÉ

Marché longtemps quasi fermé, le foot français s’est depuis cinq ans  largement ouvert aux investisseurs venus de l’étranger.  C’est tout un nouveau monde qui vient bouleverser le paysage : fond souverain, holdings offshore, magnats, Jorge Mendes, spéculateurs (trading de joueurs). Analyse du phénomène.

A suivre: le bilan de la mondialisation en France et en Europe.


Jusqu’en 2011, le foot pro français vivait dans un univers convenu. Un entre soi, conforté par les échecs retentissants des récentes tentatives d’entrisme de l’étranger (l’Américain Colony Capital au Paris SG, le Japonais Index à Grenoble). Les clubs dominants de l’hexagone irriguaient financièrement les autres en leur achetant des joueurs. Le trading de joueurs français se faisait rituellement. Formation, post formation, exposition dans un club de L1, transfert à l’étranger : tout était balisé, à chaque étape sa plus value.

Mais ça, c’était avant le grand bouleversement et l’arrivée en force des capitaux étrangers.

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L’année 2011 est celle du début  du changement d’époque. Au sommet de la L1, la hiérarchie est devenue incertaine. Les trois champions sortants (Lyon, Bordeaux et l’OM) perdent du terrain. Lille remporte le titre en 2011, Montpellier en 2012.

C’est en 2013 que le dogme de l’économie du foot français, en fait celui du village gaulois, est véritablement confronté  à la nouvelle réalité, la mondialisation. Le Paris SG version qatari est champion pour la première fois. Monaco retrouve la L1 et fait fort en dépenses de transferts au mercato d’été (160 M€).

La nouvelle donne s’installe avec la capacité inédite d’investissement de ces deux clubs en achats de joueurs: 622 M€ pour le Paris SG, 339 M€ pour Monaco depuis cinq ans. Jamais aucun club français n’avait dépensé autant sur une telle période (296 M€ pour Lyon de 2004 à 2009)

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Face à ce bouleversement, le foot français est d’abord accueillant, Jean Michel Aulas en tête. A propos des propriétaires qataris du Paris SG, il dit ceci en novembre 2011 dans l’Equipe : « Ils investissent de façon intelligente pour servir leurs intérêts mais aussi ceux du foot français. Ça fait progresser tout le monde ».

Mais le ton va changer au fil des années du fait, entre autres, de ce constat: le Paris SG et Monaco  dépensent en transferts essentiellement à l’étranger.

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Et le football français décide de mener la fronde contre le club de la Principauté en raison de sa capacité d’investissement inédite et du fait de son implantation hors du territoire français, qui lui permet d’ échapper à la taxe de 75 %  sur les hauts revenus décidée par le gouvernement. Ceci  venant s’ajouter aux avantages fiscaux dont bénéficie l’AS Monaco (pas d’impôt pour les joueurs étrangers, charges sociales réduites pour les français).

La fronde, initiée par Noël Le Graët, puis menée par Frédéric Thiriez se termine en déroute. La grotesque mesure d’indemnisation de 50 M€ pour autoriser Monaco à conserver ses avantages fiscaux est invalidée en juillet 2015 par le Conseil d’Etat

Chine et Etats-Unis, les nouveaux conquérants

Après le Qatar (Paris SG) et la Russie (Monaco),  la vague d’investisseurs venus de l’étranger s’accélère, les Chinois arrivent en nombre : à Auxerre et Sochaux en 2015, Nice et Lyon en 2016 et ils sont (étaient ?) en négociations d’achat à Nancy.  Une arrivée chinoise en nombre mais pas en force. Car ses investisseurs ont pour caractéristique commune d’entrer, tout ou partie, dans le capital d’un club, mais sans beaucoup plus. Constat: quasiment aucun des investisseurs chinois arrivés en France n’a investi sur le marché des transferts. Dans ce contexte le passage devant la DNCG le 8 décembre de Wing Sang Li, président du FC Sochaux était très attendu. Avec cette question.  Allait-il confirmer son intention confirmer son intention d’apporter des fonds au lieu de “vivre” sur les 12 M€ de trésorerie laissés par le propriétaire précédent. Wing Sang Li a confirmé cet engagement qu’il dit vouloir tenir avant le 3 janvier, le prochain rendez-vous devant lea DNCG.

A Auxerre, le groupe chinois ORG Packaging, aux manettes du club depuis octobre, a annoncé le montant de ses investissements sur trois ans: 6 M€. Pas de quoi  faire rêver. Une position assumée à Nice par Chien Lee (sino-américain) et Alex Zheng (chinois), deux des nouveaux actionnaires majoritaires, selon Jean Pierre Rivère, le président du club. Ils sont là pour pérenniser, pas pour flamber.

Cette position d’actionnaire présent mais non intrusif dans la gestion,  Jean Michel Aulas en a tiré bénéfice à Lyon sur le modèle de l’Atletico Madrid. Afin de réduire son endettement, le club madrilène avait cédé 20 % de son capital en janvier 2015 au Chinois Wang Jianlin (Wanda Group). Même opération à Lyon pour Aulas en août dernier avec IDG Capital Partners (20 % du capital de l’OL pour 100 M€).

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Après la Chine, Les Etats-Unis ont suivi  représentés désormais dans trois clubs français. Au Havre avec Vincent Volpe, à Nice avec Paul Conway et Elliot Hayes et à l’OM avec Franck McCourt. Son arrivée à Marseille a constitué une surprise, le club semblant avoir découragé tout autre acheteur qu’un ou des fonds d’investissement. En place depuis un mois, ce sont les deux prochaines mercatos (hiver, été) qui serviront de premiers indicateurs de sa capacité de gestion. Afin de savoir aussi si McCourt veut s’implanter de manière durable à Marseille ou redresser le club pour une vente à plus value.

Monaco avec Jorge Mendes, Lens avec l’Atletico, Lille et son projet de trading, les holdings offshore: la mondialisation case les codes

Les nouveaux investisseurs étrangers ont pour certains cassé les codes de gestion des clubs, à commencer par l’AS Monaco. Depuis 2011, le club a institué un turnover intensif (335 mouvements de joueurs), pratiqué un intense trading (y compris avec des prêts de joueurs improbables dans des clubs improbables), usé du TPO (joueurs en tierce propriété) de manière intensive. Jorge Mendes a obtenu carte blanche pendant trois ans (2013 à 2016) où il a trusté (directement ou indirectement) 68 % pour cent des opérations de transferts (départs et arrivées), sans compter les prêts. Soit 380 M€ sur 553 M€.

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Jorge Mendes omniprésent à Monaco de 2013 à cet été

Depuis cette saison, Monaco a changé de politique. Luis Campos (directeur technique puis conseiller), relais de Mendes dans la Principauté a quitté le club. Au mercato d’été, le super agent a été très peu actif (un départ, Ivan Cavaleiro, un prêt, Dinos Almeida et zéro arrivée). Et le club a fait fort avec l’arrivée d’Antonio Cordon, l’ex recruteur de Villareal, une pointure dans son domaine.

Autre tendance de ces années d’arrivées d’investisseurs étrangers,  les holdings offshore. A peine arrivé, Franck McCourt a logé Olympique de Marseille LLC (la holding coiffant l’OM) aux Etats Unis dans l’Etat du Delaware, paradis fiscal. Ce qui est également le cas à Nantes (Flavia, holding de Waldemar Kita en Belgique), Monaco (MSI la société où Rybolovlev a mis ses parts, appartient à un de ses trusts à Chypre), Lens (la holding Solferino majoritaire dans le capital est implantée au Luxembourg). A Lille, Gérard Lopez a l’intention d’acheter le club par le biais d’une société, Victory Soccer, basée à Londres, elle même propriété de Chimera Consulting, domicilée à Hong Kong.

Au Paris SG, le propriétaire du club, Qatar Investment Authority, est basé à Doha (Qatar)

A Nancy, les repreneurs sont censés avoir créé une société pour cette opération, Redinvest International Limited, basée à Londres. A Lille, le porteur du projet, Gérard Lopez, loge ses sociétés au Luxembourg et à Londres. A Nice, on ne connait pas le montage financier qui lie les nouveaux investisseurs. Interrogé à ce sujet, le service de (non) communication du club n’a pas souhaité répondre.

Depuis son passage à  la mondialisation, le foot français est entré en réseaux : Jorge Mendes à Monaco, Mino Raiola au Paris SG, Doyen Sports à l’OM.  Lens et Lille (si la vente devient effective) représentent un cran supplémentaire, avec pêle mêle holdings en cascade, fonds d’investissements, délocalisation, sociétés d’acquisition de joueurs, club étranger dans le capital, avec en prime Jorge Mendes dans le paysage.

Le RC Lens constitue en France le premier laboratoire du genre avec son système de poupée russe adapté au foot: Solferino (qui possède 65,4 % du club) est détenu par une holding (J4A Holdings II SARL), elle-même propriété d’une autre holding (J4A Holdings I SARL) détenue par le Français Joseph Oughourlian, patron d’Amber Capital, un fond spéculatif basé à Londres. Et le reste du capital (34,6 %) appartient à l’Atletico Madrid.

Moins influent à Monaco, Jorge Mendes se rabat sur Lens et Lille. Le RC Lens a passé un accord d’échance avec Millonarios Bogota, le club colombien sous contrôle d’Amber Capital. Le fond a depuis initié un rapprochement Miilonarios/Benfica et un joueur du club lisboète, Diego Lopes s’entraîne avec les Lensois depuis octobre. Un joueur estampillé Jorge Mendes. Un maillage exposé par Yann Fossurier pour FR3 Nord pas de Calais.

Le montage sophistiqué du RC Lens peut s’explique en particulier par l’interdiction du TPO (joueur en tierce propriété).  Depuis, les fonds d’investissement proposent aux clubs des solutions alternatives afin de contourner cette interdiction.  L’une d’elles, décryptée par Joëlle Monlouis, avocate en droit du sport,  consiste à ce que les fonds rentrent au capital des clubs,  une manière détournée d’acquérir des parts de joueurs:

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Le montage lensois représente une version encore plus sophistiquée : il y a en effet deux « tiers » entrés dans le capital du club, Amber Capital et l’Atletico Madrid.  Sans oublier les deux holdings « coiffant » Solferino qui autorisent tous les circuits financiers.

Si les réseaux du RC Lens sont nombreux, ceux des repreneurs du LOSC le sont tout autant. En particulier du fait de Marc Ingla, ex vice président du Barça. Ils mènent plus particulièrement à Manchester City et trois autres anciens du club catalan: Ferran Soriano (ex vice président), Txiki Begisristain (directeur technique) et Pep Guardiola. Donc également avec le frère de ce dernier, Père, agent influent.

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Marc Ingla à gauche et Ferran Soriano, deux ex du Barça

Ingla est en relation avec Manchester City par un autre canal, Mangrove Capital Partners, le fond de capital risque co-fondé par Gérard Lopez. Ingla y a été recruté en même temps que Ferran Soriano, avant que ce dernier ne parte à Manchester City. Luis Campos représente également un atout de poids pour le projet de reprise en tant qu’ex  superviseur pour José Mourinho au Real Madrid et recruteur chevronné lié à Jorge Mendes. Ce qui rend piquante son association avec Marc Ingla, en cour à Manchester City alors que Campos l’est au Manchester United de José Mourinho et club phare de la galaxie Mendes.

Gérard Lopez et Marc Ingla sont eux liés par un autre réseau, celui des sociétés d’acquisition de joueurs. Il s’agit de Mangrove Sport Business Intelligence pour Lopez. Interrogé en décembre 2014 sur son offre de reprise du Deportivo Lugo, il répond ceci:  « Non, pour Lugo, c’est un engagement à titre privé, un choix du cœur. En parallèle, notre engagement dans le football poursuit sa route avec Mangrove. Nous avons pas mal de contrats d’agents et une douzaine de joueurs, dont le jeune milieu brésilien Gérson, courtisé par les plus grands clubs européens ». 

Et le porte parole de Gérard Lopez l’a confirmé en octobre dernier au Phocéen: “Luis Campos a accepté d’intégrer le projet de Gérard Lopez pour le football dans son ensemble (…). Ce qui le renforce sérieusement, mais ça ne s’arrête pas à Lille. Il va par exemple également le conseiller pour sa société d’acquisition de joueurs”.  Pour Marc Ingla il s’agit de Kick Partners  (avec deux autres administrateurs de Mangrove Capital Partners). Les deux sociétés ont plusieurs joueurs en commun, dont le brésilien Douglas (Roma) et Iker Muniain (Athletic Bilbao).

Ce qui garnit la boite à questions concernant l’offre portée par Gérard Lopez pour le LOSC.

  • Lopez et Ingla ne risquent-ils pas le conflit d’intérêt en étant à la fois propriétaire/dirigeant d’un club et dans des sociétés possédant des parts de joueurs ?
  • En décembre 2013 Gérard Lopez est entré dans le capital de Mangrove Founders S.à r.l , en association avec Fedalk Investing Ltd, société domicilié à cette adresse :  Vanterpool Plaza, 2nd Floor, Wickhams Cay 1, Road Town, Tortola, British Virgin Islands. Une adresse en pleine actualité, puisque citée par Médiapart dans l’affaire des FootballLeaks et déjà citée dans une autre affaire, celle des sociétés Vibrac et Mousehole, prêteurs opaques dans le football européen. Cette communauté géographique est -elle un hasard, ou pas ?
  • Sociétés d’acquisitions de joueurs pour les deux principaux dirigeants, Luis Campos donc Jorge Mendes dans le casting, achat du club par une société londonienne propriété d’une autre à Hong Kong: Il est question d’un club de foot ou d’une société de trading de joueurs (à peine) déguisée ?