« Il n’y a pas partout des associations aussi bien organisées que les groupes de supporters dans les quartiers »
Après Pierre Vuillemot sur Borussia Dortmund, Quentin Guéguen (*), passionné de football allemand et biélorusse nous fait partager son expérience des stades de Bundesliga. Le championnat allemand est globalement mieux régulé que la L1 (à 50% + 1, un club doit rester propriété de ses membres). Les supporters y sont plus nombreux et festifs, mieux organisés, plus impliqués et solidaires, très attachés à leur quartier et aux racines.
Un tableau apparemment idyllique. Ce serait oublier la violence dans et autour des stades, en hausse, les tentatives d’infiltration de l’extrême droite, les velléités de la Ligue de développer le foot business (prix des places, créneau élargi des matches pour la télé) et la volonté étatique de limiter les déplacements.
(Prochains volets : L’Angleterre (1), le pays où les supporters peuvent être propriétaires de clubs et (2) le pays où les supporters s’emparent de tous les moyens d’expression (fanzines, magazines, etc.). A suivre la situation des supporters en Espagne, Italie et aux Etats Unis).
Qu’est ce que la règle des 50 + 1 ?
« Un club allemand doit être, à 50% + 1 action minimum, la propriété de ses membres. Cela empêche l’arrivée d’actionnaire majoritaire qui prendrait le contrôle du club depuis l’extérieur. Si cela plait à la grande majorité des clubs, quelques voix se lèvent de temps en temps pour essayer de l’adoucir ou le supprimer, c’est notamment le cas de Martin Kind, le président de Hanovre, qui est un fervent opposant à cette règle. Kind pourra bientôt acheter l’entièreté du club s’il le veut, car la règle stipule également qu’une personne peut acheter la totalité du club s’il le soutient depuis 20 ans. C’est le cas par exemple de Dietmar Hopp à Hoffenheim qui l’a fait récemment.
Il y a quelques exceptions historiques, à Leverkusen et à Wolfsburg, et un club qui contourne le système, Leipzig. Le 50+1 est une condition sine qua non pour obtenir sa licence afin de jouer dans les deux championnats organisés par la DFL, la Bundesliga et la 2. Bundesliga.
Comment les supporters sont-ils représentés dans les clubs ? Quel est leur poids ?
C’est tout de même très rare de voir des groupes représentés dans le cœur des clubs comme les conseils de surveillance. En revanche, il y a très régulièrement des réunions organisées ou des opérations en début de saison ou en cours de saison. Mais là aussi, les supporters sont souvent membres de leur club donc ont de facto un moyen de donner leur avis. Exemple simple à Stuttgart qui a récupéré son vieux logo – encore un signe de tradition, de racines – sous l’impulsion des supporters. Les membres ont ensuite voté pour le retour de ce logo.
Le cas d’Hambourg, où un groupe “Chosen Few Hansestadt Hamburg 99” qui était actif au Conseil de Surveillance a décidé de se dissoudre en juin 2015 est-il représentatif de la difficulté de représentation des supporters ?
Hambourg est un cas particulier car il n’y a pas de club qui travaille moins bien ou qui est aussi instable que Hambourg en Allemagne. A part 1860, peut-être, qui fait n’importe quoi dont les ultras protestent aussi. Le HSV a enchaîné plusieurs directeurs sportifs et entraîneurs et il n’y a aucun projet sur le long terme dans ce club. Chacun peut devenir membre de son club, donc techniquement, les supporters ont toujours leur mot à dire.
Généralement, les ultras n’ont aucun problème à critiquer la direction de leur club, que ce soit par des banderoles, des boycotts ou dans les cas les plus extrêmes des dissolutions même si cela reste très rare. Généralement, les revenus liés au ticketing, qui sont les plus élevés en Europe si l’on prend la part de budget des clubs, sont tellement élevés que l’on préfère s’asseoir autour d’une table et discuter. Tout le monde y est gagnant.
Les principaux problèmes viennent souvent des prix des places, mais dernièrement, les dirigeants de Dortmund ont interdit les abonnements à l’extérieur pour les supporters. Si on ajoute le retour de Götze du Bayern Munich, l’intersaison n’a pas été folichonne niveau cordialité entre supporters et dirigeants à Dortmund.
Est-ce qu’il y a beaucoup de SLO (officier de liaison entre supporters et clubs) en Allemagne ?
Au moins un par club, c’est obligatoire et cela fait très longtemps que le modèle allemand est vendu par l’UEFA dans ce domaine. On peut aller jusqu’en quatrième division et avoir des clubs avec un SLO. Les Fan-Projekte ont un peu ce rôle-là également.
Que sont les « Fan-Projekte », quel est leur rôle ?
Les Fan-Projekte ont été créés dans le milieu des années 90. Il est financé par les Länder, le ministère fédéral des affaires familiales et la fédération allemande de football, la DFB. En gros, le rôle des Fan-Projekte est une sorte de lien entre les institutions et les supporters. Ils organisent régulièrement des conférences et des rencontres avec les pouvoirs publics .
Ils ont un rôle assez large finalement, et sont présents dans une grosse quarantaine de villes en Allemagne. Ils ne sont pas là pour faire la morale, mais ils aident aussi les supporters à s’intégrer socialement, à faire des médiations, c’est un vrai succès car tout le monde comprend leur utilité.
Que reste-t-il, quatre ans plus tard, du conflit 12 :12 (opposition des supporters à des mesures sécuritaires sans concertation)
On monte assez très vite dans les extrêmes en Allemagne, et le problème est qu’à chaque fois qu’un incident se déroule, ça envenime les débats assez rapidement et ça réagit pas mal à chaud. Les supporters extérieurs ont été interdits lors des Cologne – Mönchengladbach et Eintracht – Darmstadt l’année passée. Ça commence à devenir la solution lors des matchs chauds.
Les supporters de Gladbach avaient alors protesté en défilant dans une ville voisine de Cologne. Les principaux problèmes sont relevés avec les parcages à l’extérieur où les supporters sont résolument moins bien traités quand ils se déplacent.
Au niveau de l’expression, il n’y a pas tellement de problème, surtout lorsqu’il s’agit de s’exprimer sur les joueurs, comme Mats Hummels en avait été la cible. Les ultras de Stuttgart ont fait savoir à Timo Werner, formé à Stuttgart, ce qu’ils pensaient de son transfert à Leipzig très récemment.
Qu’en est-il du mouvement des supporters contre les matches du lundi ?
C’est un peu l’interrogation. La DFL a mis en place quelques matchs le lundi pour les saisons à venir, comme quelques matchs le dimanche juste après midi. Les supporters du Bayern notamment ont montré leur opposition aux matchs le lundi mais le débat est arrivé très vite sur la table après la négociation des nouveaux droits en Angleterre et si tout le monde est absolument contre parce que, là aussi, cela tuerait les traditions, tous les groupes de supporters n’ont peut-être pas encore eu le temps de s’exprimer sur le sujet. Ce sera d’ailleurs intéressant de voir comment ceux-ci vont réagir mais la DFL n’est pas prête à céder.
Quel est l’ancrage local des groupes de supporters ?
Il existe partout. On y revient tout le temps, cela fait partie des racines, de la tradition. Tous les clubs ont été créés dans un quartier et il est important pour ce club et les supporters de rester dans celui-ci. Le FC Union déplacé ailleurs qu’à Köpenick serait une aberration, les clubs et les quartiers sont souvent très fortement liés l’un à l’autre, surtout dans les grandes villes où il y a plusieurs gros clubs. C’est le cas à Berlin, à Hambourg, à Munich. Un club fait vivre le quartier et les supporters font le lien entre les deux.
Les groupes ont-ils un rôle social ?
Oui, les groupes et les clubs en même temps. Dernièrement, on l’a bien vu avec la crise des réfugiés, qui ont reçu un soutien inconditionnel des ultras allemands, ainsi que des clubs. Ceux-ci ont fait des dons, offert des cours d’allemand parfois, les invitaient au stade, pendant que les ultras réalisaient des collectes ou faisaient des opérations sur les places achetées. Il n’y a pas forcément partout des associations aussi bien organisées que les groupes de supporters dans les quartiers voire dans les villes, qui peuvent mettre en place des actions rapides et efficaces.
Est-ce que le mouvement des supporters de Carl Zeiss Iena sur la Südkurve (menacée par un projet de rénovation) est représentatif d’une volonté générale de conserver les racines ?
Bien sûr, les gens sont très attachés à leur racine et à leur tradition. En Allemagne, on oppose les clubs de traditions, les « Traditionsvereine » en version originale, c’est-à-dire ceux qui ont une histoire dans le football allemand, aux nouveaux clubs bâtis grâce à l’argent.
Et il est absolument capital, d’un point de vue de supporter, de garder ce côté traditionnel sous peine de passer du côté obscur de la force. Le FC Bayern a d’ailleurs ses quartiers à Giesing également, deux ou trois rues parallèles à la Grünwalder Straße, une des grandes artères du sud de Munich et le cœur de 1860. C’est assez étrange.
A part ceux de St Pauli existe-t-il d’autres groupes de supporters anti système ?
Au FC Union Berlin, c’est le club en général qui essaye d’agir différemment. En manque d’argent il y a quelques saisons, les supporters ont vendu leur sang pour permettre au club de survivre financièrement. Un peu avant, ils avaient eux-mêmes construit une nouvelle tribune quand le club ne pouvait pas se la payer. Chaque Noël, le club organise une veille où les supporters se regroupent dans leur stade et chantent des chants de Noël. C’est un club assez unique, celui qui représente le côté Est de Berlin.
Beaucoup de groupes ont montré leur soutien aux réfugiés lors de la crise, nombreux sont ceux qui ont montré leur soutien aux homosexuels également comme à Mainz. Il est vrai de dire que le stade est un lieu d’expression en Allemagne pour un message politique ou/et footballistique.
http://www.lagrinta.fr/quand-lunion-berlin-faisait-reconstruire-son-stade-par-ses-supporters&7245/
Est-ce que que le mouvement contre le Red Bull Leipzig (club monté de toutes pièces) est important ?
Les supporters de clubs le montrent de différentes façons, mais personne n’aime le RB Leipzig. Personne. Leipzig représente, pour les Allemands, tout ce qui ne va pas dans le football moderne et les ultras allemands sont très anti-business. Il faut dire aussi que Leipzig dépensait plus que les 17 autres clubs de 2. Bundesliga en matière de transfert. Quelques clubs ont boycotté la Red Bull Arena l’an passé déjà.
C’est un mouvement qui va probablement se tasser au fil des années comme avec Hoffenheim, mais il va sûrement prendre de l’ampleur cette saison et la saison prochaine, parce que le RB arrive en Bundesliga. C’est la même chose quand Leipzig se déplace. Le stade entier, ultras comme spectateurs lambda, avaient fait un tifo géant où tout le stade était en noir pour « célébrer » la mort du football.
On sent aussi une grande tension dans les stades, il y a des sifflets, des insultes, les joueurs adverses sont très motivés et appuient clairement plus leurs tacles, comme on avait vu à Osnabrück en Coupe. C’est très difficile de décrire ce qui se passe envers Leipzig, c’est vraiment de la haine pure et dure pour ce qui représente le football moderne et commercial. C’est limite si les gens ne préfèrent pas siffler Leipzig qu’encourager son équipe.
C’est aussi le cas pour les joueurs. Willi Orban, capitaine de Kaiserslautern, formé et au FCK depuis tout petit, a signé à Leipzig en début de saison dernière. Il a été conspué à son retour au Betzenberg comme rarement j’avais vu un joueur se faire conspuer. Et cela à chaque touche de balle, c’était assez incroyable. D’ailleurs, Orban avait été expulsé ce soir-là.
La bonne réputation des stades allemands, et pas seulement la Bundesliga est-elle justifiée en terme de passion, d’ambiance et de jeu ouvert ?
Je ne peux pas parler de tout le monde car je n’ai pas encore écumé tous les stades allemands, malheureusement. J’ai fait Fribourg, Hanovre, Hambourg, 1860 et Augsburg. Partout, j’ai pris mon pied. Il y a quelque chose de très addictif dans la Bundesliga. Les gens sont actifs dans le stade. Quand le kop lance un « Steht auf, wenn ihr [xxx] sein », « Lève-toi si tu es [xxx] », les gens se lèvent et tapent dans leur main. Les enfants, les parents participent.
C’est assez bon enfant. Les gens se déplacent entre potes ou en famille. Les transports sont bondés. On entre dans le match lorsqu’on aperçoit le stade, au bar ou uniquement dans le stade.
Les gens vont boire une bière – ou plusieurs – avant, vont au stade en transports en commun, très bien organisés les jours de match, et y retournent après les matchs. Pas mal de stades, relativement récents, sont situés en dehors du centre-ville, ce qui ne rend pas l’organisation des cortèges très faciles. Le jeu quand on va au stade, c’est de chercher les Kutten, les types avec des vestes pleins de pins, de logos à l’effigie des clubs. Bon, généralement, ce n’est pas très difficile.
Il y a une vraie osmose qu’on ne voit pas en France par exemple. Le stade est un endroit de vie où on passe une bonne après-midi et où on vit quelque chose de collectif. Ça permet aussi de rester éveillé même quand les matchs sont mauvais, car ça arrive. Tous les matchs ne sont pas bons mais ils sont beaucoup plus agréables à suivre avec 30.000 personnes dans le stade plutôt que 5.000.
Est-ce que le phénomène de supporters qui viennent de l’étranger (d’Angleterre pour cause de normalisation de la Premier League et d’ailleurs) est en augmentation ?
C’est une certitude. Certains s’en plaignent d’ailleurs, car ce sont eux qui mettent moins d’ambiance dans les stades. Les prix des places sont abordables, l’ambiance est meilleure que dans les cinq grands championnats si on prend quelques exceptions comme Naples et généralement, on voit quelques buts.
Les clubs allemands sont souvent regroupés par grappe d’un point de vue géographique, alors pour un voyage, il est possible de faire plusieurs matchs, ce qui est attractif également. Dans la Ruhr, tu peux aller voir Duisburg, Bochum, Schalke, Dortmund, Essen si tu es motivé… même chose dans le bassin du Rhin avec Mönchengladbach, Cologne, Leverkusen, idem pour le Bayern – si tu as eu la chance d’avoir une place – et Augsburg, Ingolstadt, Fürth, Nuremberg.
Qu’en est-il de la violence dans les stades ? Inexistante, marginale ?
Elle existe par exemple quand deux équipes avec deux grands groupes de supporters s’affrontent comme Mönchengladbach – Cologne ou Dortmund – Schalke. Il y a quelques incidents parfois entre Braunschweig et Hanovre, entre le Werder et Hambourg, quand Dresde se déplace également. Les matchs entre clubs d’Allemagne de l’Est peuvent être très chauds car c’est aussi là qu’on retrouve pas mal de groupes de droite voire extrême droite, comme à Rostock ou Dresde justement. Alors quand Dresde se déplace à St. Pauli par exemple, c’est un match à risques.
Même chose quand deux équipes avec des supporters amis s’affrontent, comme on avait pu le voir lors d’un Schalke – Bayern où quelques supporters de Bochum, amis du Bayern, avaient fait parler d’eux. Il faut aussi se méfier des individus évidemment, on n’est jamais à l’abri d’une mauvaise surprise. Il y a quelques incidents isolés de temps en temps, dans les gares, les trains ou lorsque la police est visée et globalement, la violence est tout de même en hausse.
A part le cas du Borussia Dortmund la question de l’extrême droite est –elle importante dans les tribunes ?
Comme partout dans le monde et l’Allemagne n’est pas un contre-exemple, les stades de football sont le miroir de la société. Tout le monde va dans les stades, et il s’avère que certains en profitent pour mettre en lumière leurs idées politiques. Il s’avère que les problèmes sociaux sont plus grands en RDA, ça ne veut pas dire qu’il n’y a que des microgroupes ultras d’extrême droite uniquement dans les stades d’ex-RDA. Ceci étant, il est vrai qu’il y a plus de chance de voir des ultras d’extrême droite à Dresden qu’à Fribourg. Et oui, naturellement, c’est une question importante. Les clubs et les groupes de supporters travaillent en collaboration pour essayer d’expulser les fautifs.
La Bundesliga 2 est-elle, comme en Angleterre, plus « roots » ?
Elle le devient presque par défaut, parce que tu perds de l’argent (l’écart est beaucoup plus grand qu’en Angleterre, certains clubs ont tout perdu en descendant – cf Cottbus, Aachen), tu dois changer tout ton fonctionnement et de là, tu reviens à tes racines. Il y a beaucoup de Traditionsvereine en deuxième division comme 1860 München, St. Pauli, Kaiserslautern ou Bochum, des clubs de tradition habitués de la Bundesliga. Mais la première division essaye de ne pas se perdre dans le football business et tente d’allier tradition à économie justement. Il suffit de voir comment sont traités les « nouveaux riches » comme Wolfsburg, Hoffenheim et Leipzig en Allemagne. Ils sont haïs, sifflés et tout est fait pour les rejeter. Alors oui, c’est un peu plus « roots » en D2, mais c’est plus par défaut et par contrainte. »
(*) Quentin Guéguen écrit pour footballski.fr, le site du football de l’Est :