L’ARGENT AU POUVOIR
Jorge Mendes (Gestifute) et Nelio Lucas (Doyen Sports) représentent les deux secteurs incontournables d’aujourd’hui: les agents (Mendes) et les fonds d’investissement (Lucas). Ils sont tous les deux portugais, comme Ronaldo et José Mourinho, ce qui atteste du poids actuel du Portugal dans l’univers du foot.
L’influence, prépondérante, de Jorge Mendes et de Nelio Lucas (dans une moindre mesure) est l’indice de la fragilité des grands clubs. Ils dictaient hier leur loi. Elle est devenue presque exclusivement celle du marché. Lequel est de plus en plus dopé par une inflation artificielle, alimentée par les agents et les fonds d’investissement.
Portrait de deux incontournables du foot business.
Jorge Mendes (49 ans) et Nelio Lucas (36 ans) ont d’abord travaillé de concert. Ils se sont maintenant éloignés, mais en bonne intelligence. Leur rivalité s’efface lorsqu’il s’agit de travailler avec l’Atletico Madrid, le FC Porto, et l’AS Monaco, clubs avec lesquels chacun trouve son intérêt.
Ce gentleman’s agreement s’est vérifié récemment avec Florentino Perez et Jorge Nuno Pinto da Costa, les présidents du Real Madrid et du FC Porto, mi-juin à Lausanne devant le Tribunal Arbitral du Sport et début août dernier à Porto. Dans un litige devant le TAS l’opposant au Sporting Portugal sur un transfert (Rojo à Manchester United), Doyen Sports a fait produire le témoignage d’honorabilité de quelques caciques du foot européen. Nelio Lucas s’était démené : avec Perez et Pinto da Costa, il y avait Adriano Galliani (administrateur délégué de l’AC Milan), Gil Marin (directeur général de l’Atletico Madrid), Monchi (directeur sportif FC Séville).
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L’impérial Jorge Mendes
Le transfert d’Angel di Maria à Paris illustre la méthode Jorge Mendes. Laquelle est résumée dans « Jorge Mendes, l’agent spécial » le livre de Miguel Cuesta et Jonathan Sanchez:
« On peut dire que Mendes est celui qui fait bouger le marché. Ses transactions font que les joueurs circulent de club en club, même quand il n’agit pas comme agent. Il ne manipule pas le marché, en fait il le crée. Personne mieux que lui ne réagit et active le déplacement des pièces. Jorge Mendes est le doigt qui renverse la première pièce du domino et provoque ainsi la chute des autres».
La théorie des dominos est reprise dans un article clé de Jornal I afin de comprendre comment fonctionne Mendes. Le transfert de Ronaldo à Manchester United lui a donné accès à Peter Kenyon (directeur général). Ce dernier parti à Chelsea l’a présenté à Roman Abramovitch, lequel a facilité à Mendes l’entrée en Russie. D’abord au Dynamo Moscou et au Zenit-St Petersbourg puis auprès de Dmitri Rybolovlev à Monaco.
Et c’est aussi Peter Kenyon qui a mis Jorge Mendes en relation avec Peter Lim, le propriétaire du FC Valence.
Le super agent a donc ainsi tissé un maillage relationnel comprenant principalement: FC Porto, Benfica, Sporting Portugal, Sporting Braga, Real Madrid, Atlético Madrid, FC Valence, Manchester United, Chelsea, Monaco, Dynamo Moscou, Zenit-St Petersbourg et Besiktas.
Affaires entre amis
Jorge Mendes cultive très soigneusement son cercle de relations, voir cette liste dans laquelle on constate que ses clubs « amis » ont établi leur record de transferts en vendant des joueurs à d’autres clubs « amis »:
Manchester United: Ronaldo vers Real Madrid pour 94 M€.
Monaco: James Rodriguez vers Real Madrid pour 80 M€.
Real Madrid: Di Maria vers Manchester United pour 75 M€.
Atletico Madrid: Falcao vers Monaco pour 60 M€.
FC Porto: Hulk vers Zenit-St Petersbourg pour 55 M€.
Benfica: Witsel vers Zenit St Petersbourg pour 40 M€.
Dynamo Moscou: Danny vers Zenit St Petersbourg pour 30 M€.
Sporting Portugal: Nani vers Manchester United pour 25 M€.
Sporting Braga: Danilo vers FC Valence pour 15 M€.
Di Maria, le voyageur de commerce de Mendes
Ce cercle de relations vient d’accueillir un nouveau venu, le Paris SG, avec l’arrivée d’Angel Di Maria. Jorge Mendes plante ainsi son deuxième drapeau en L1 après Monaco en 2013. Tout le savoir faire de Jorge Mendes est contenu dans le parcours du joueur argentin qu’il fait rentrer dans son écurie à Benfica. Transféré au Real Madrid en 2010, orsque le club madrilène craque sur Gareth Bale (94 M€) en 2013, il exfiltre son protégé l’année suivante à Manchester United pour 75 M€.
Di Maria ne réussit pas chez les Red Devils ? Jorge Mendes a la solution. Le Paris SG, sur la piste du joueur argentin l’été dernier, et qui vient de mettre 63 M€ pour réaliser cette fois l’opération. Bilan ? Mendes a rendu service à Manchester United et compris qu’un seul club accepterait de payer une telle somme après les départs tumultueux du joueur argentin du Real Madrid et de Manchester United. Le Paris SG, attiré par le jeu spectaculaire de Di Maria.
Un seul transfert ne suffit pas afin de ranger Paris dans la catégorie des clubs « amis » de Jorge Mendes. Il le deviendra lorsque le super agent lui fournira un autre élément de son portefeuille de joueurs. William Carvalho (Sporting), Alex Witsel (Zenit) ?Ils sont chers (35 M€ + 10 de bonus pour le premier, 30 M€ pour le second), mais Mendes sait que Paris a les moyens.
En bonus, le super agent empiète sur les plates bandes de Mino Raiola, agent bien implanté au Paris SG (Ibrahimovic, Matuidi, Maxwell). Et il fait grimper à 13, 7 M€ le total des commissions de transferts pour Di Maria, son voyageur de commerce le plus rentable : 179 M€ cumulés en transferts (le record mondial).
Un mercato à 370 M€ ?
A trois semaines de la fin du mercato, Jorge Mendes n’a pas perdu de temps. A Benfica il a expédié Rodrigo Moreno, Joao Cancelo et André Gomes au FC Valence pour 60 M€ et Ivan Cavaleiro à Monaco (15 M€). Il a fait rapatrier Helder Costa qui était en prêt au Deportivo La Corogne afin qu’il soit également prêté, mais cette fois à Monaco.
Il négocie le transfert de Gaitan à Manchester United pour 25 M€ A Porto il a facilité le transfert de Jackson Martinez à l’Atletico Madrid (35 M€) et Danilo au Real Madrid (31,5 M€). Et il ne s’est pas opposé à l’arrivée d’Imbula, pourtant gérée par Doyen Sports. Au Sporting Portugal, il attend une offre (du Paris SG ?) pour William Carvalho, proposé à 35 M€ + 10 de bonus.
Au Vitoria Guimaraes, il a orchestré le transfert de Bernard Mensah à l’Atletico Madrid (10 M€) et son prêt dans la foulée à Getafe. Au Real Madrid, il a exfiltré Casillas (libre) vers Porto, comptant bien y faire venir De Gea (Manchester United pour 40 M€. A L’Atletico Madrid, il a négocié le départ de Raul Jimenez (dont il détient 50 % des droits) à Benfica pour 9 M€. Il a donné son accord afin que Rodrigo Caio reste à Sao Paulo FC, alors que le joueur devait être prêté avec option d’achat (12, 5 M€) au club madrilène.
Au FC Valence, il a tenté en vain de recruter Rodrigo Caio (Sao Paulo FC), recalé à la visite médicale, mais cela a suffi pour stopper l’arrivée d’Imbula. Et provoquer le départ du président (Amadeo Salvo) et de « Rufete » le directeur sportif. Il doit résoudre le cas Negredo, que le FC Valence a dû acheter 30 M€ à Manchester City au terme d’un prêt avec achat obligatoire. Le club veut le vendre, mais le joueur veut rester. Au Celta Vigo il a envoyé Santi Mina au FC Valence (10 M€).
A Manchester United, il a fait en sorte que Di Maria aille au Paris SG pour 63 M€. Et il a muté Falcao à Chelsea, toujours en prêt de Monaco. A Chelsea, il a fait partir Filipe Luis à l’Atletico Madrid (16 M) qui l’avait transféré l’été dernier pour 20 M€ au club londonien. Il n’a pas pu accéder à la demande de Mourinho de transférer Cuadrado afin de faire venir Turan (parti à Barcelone). A Sheffield Wednesday, il a casé Carlos Carvalhal, un de ses proches, en tant que manager, après l’avoir, entre autres, installé sur le banc de Besiktas.
A Monaco, il a initié l’offre de l’Atletico Madrid pour Ferreira Carrasco (20 M€) afin de faire place à Ivan Cavaleiro (Benfica) arrivé pour 15 M€. Il a constaté que Luis Campos (qu’il avait mis en place) passait du poste de directeur technique à celui de conseiller du président chargé du recrutement et de la détection. Le même poste que Pedro Perreira (un autre homme à lui) à la Fiorentina. Au FC Metz, il a fait installer Carlos Freitas (ex Sporting Portugal) en tant que directeur sportif. A Besiktas, il a casé Quaresma (Porto) pour 1,2 M€.
262 M€ de transferts conclus et 105 M€ d’opérations en tractations, Jorge Mendes est en vitesse de croisère.
Une holding en poupée russe
On peut compter sur lui pour gérer soigneusement son pactole, toujours selon le système des dominos, donc dans une holding.
La société mère, Start B.V. est basée aux Pays Bas. Elle a pour filiale Start GPS basée à Porto. Start GPS a pour filiales : Gestifute et Gestifute Media (basées au Portugal), et détient 40 % de Polaris Sports Limited (créée afin de gérer les droits commerciaux des joueurs dont Jorge Mendes est agent).
Les 60 % restants sont détenus par Creative Artists Agency (agents de stars comme George Clooney, Cameron Diaz, Leonard Di Caprio).
C’est ensuite que la structure des sociétés de Jorge Mendes devient très opaque.
Deux articles du Guardian parus en 2014 décryptent cette complexité. Le premier démontre les liens étroits qui liaient alors les sociétés de Roman Abramovitch, Jorge Mendes et Peter Kenyon (ex directeur exécutif de Manchester United et Chelsea, il a dirigé de novembre 2009 à octobre 2011 la branche sports de Creative Artists Agency) (CAA).
Le second article expose la myriade de fonds d’investissements sur les joueurs créés par Mendes et Kenyon. Jorge Mendes, volontiers homme public a aussi bien des secrets.
L’impétueux Nelio Lucas
Jorge Mendes est associé avec Creative Artists Agency, l’agence des stars. Nelio Lucas y a été employé, en tant que directeur de casting de modèles. Ce qui dit tout de leurs points communs et de leur rang. Mendes est le big boss de Gestifute, Lucas n’est qu’un employé de Doyen Sports. Mais avec de l’entregent, voir plus haut le panel de témoins réuni par lui en faveur du fonds d’investissement devant le TAS
Doyen Sports, que Nelio Lucas représente en tant que Directeur Général, est la filiale sportive (basée à Malte) d’un fonds d’investissement dont le siège est à Istanbul et la division financière à Malte. Son implantation a commencé en 2011 à l’Atletico Madrid et s’est poursuivie en Espagne au FC Séville, Getafe, Sporting Gijon, Grenade. Puis au FC Twente et au Milan AC où Doyen Sports a accompagné la tentative de prise de participation à 48 % du club par Bee Taechaubol, un businessman thailandais.
Le fond gère aussi les droits d’images de joueurs (Neymar, Xavi) et entraîneurs (Simeone).
L’expansion des fonds d’investissements dans le foot, apparus en 2004 au Portugal, a suivi la crise financière et bancaire de 2008. Les banques ont alors considérablement diminué sinon stoppé les prêts aux clubs, déjà considérablement endettés.
La porte ouverte aux fonds, qui ont développé le système du TPO, le principe des tierces parties. Doyen Sports et ses semblables financent, en totalité ou en partie l’achat de joueurs en échange d’un pourcentage qu’ils font valoir à la revente de ces joueurs.
Doyen Sports s’appuie sur la saison 2013/2014 de l’Atletico Madrid (champion, finaliste de la Ligue des Champions) une des têtes d’affiche de son catalogue, que le fond « partage » avec Jorge Mendes. L’agent et Doyen Sport ont été proches de 2011 à 2014. Mais en 2014 mais un « incident de frontières » sur un transfert brésilien les a éloignés.
Afin de permettre à Doyen Sports de se développer sur le marché des grands clubs, Nelio Lucas développe une stratégie parfois agressive. Un caractère impétueux source de déconvenues ces derniers mois.
Cela commence avec un imbroglio milanais. Doyen Sports détenait 50 % des droits de Geoffrey Kondogbia (acquis lors de son passage au FC Séville) lorsque Monaco l’a mis sur le marché des transferts en juin.
Le Milan AC (en passe d’être racheté en partie par Taechaubol avec Doyen Sports) avait pris de l’avance sur ce dossier. avant de de faire doubler par l’Inter de Milan. Mi juin, le DG de Doyen Sports a tenté un coup improbable. Faciliter le transfert d’Imbula au FC Valence, territoire 100% Jorge Mendes. Réplique du super agent : recruter Rodrio Caio, un brésilien de son écurie, et virer du FC Valence le président (Amadeo Salvo) et « Rufete » le directeur sportif.
Nelio Lucas devait se refaire sur le dossier Imbula, dont la porte du FC Valence et de l’Inter de Milan (du fait de l’arrivée de Kondogbia) s’était refermée au dernier moment. Ce fut chose faite avec Porto, Doyen Sports finançant 50 % du transfert de 20 M€. Non sans que Jorge Mendes ne fasse payer à Lucas la tentative d’effraction Imbula au FC Valence. La veille de la signature officielle, le super agent validait le départ de Jackson Martinez à l’Atletico Madrid et non pas au Milan AC…
Une série de pataquès que Silvio Berlusconi a fait payer début août à Nelio Lucas. Lorsque Bee Taechaubol a négocié avec l’état major milanais les derniers détails de la transaction lui donnant 40 % des parts du club, Berlusconi a mis un seul veto. Pas question de Nelio Lucas sous une forme ou une autre (conseiller, consultant) au Milan AC.
Après le mercato, Nelio Lucas se mettra en retrait laissant l’espace médiatique aux avocats de Doyen Sports, le fond d’investissement étant le fer de lance de l’interdiction du TPO par la FIFA.