1992-2017: LE FOOT BUSINESS A 25 ANS

Le football business est né en 1992 avec la création de la Ligue des Champions et de la Premier League, sur le même modèle que les sports US (NBA,  NFL, NHL, MLB): développer une compétition génératrice de revenus autres que les recettes spectateurs (marketing, pub, droits télés) et constituer une élite rassemblant les meilleurs joueurs. Making-of de l’opération. 


 

Le football est devenu définitivement une industrie au début des années 90 suite à une double opération (création de la Ligue des Champions et de la Premier League) destinée à satisfaire les clubs les plus riches,  en réduisant la glorieuse incertitude du sport à leur profit. C’est l’élection en 1990 du Suédois Lennart Johansson au poste de président de l’UEFA qui date le changement d’époque. Jusque là l’instance européenne avait une activité essentiellement administrative.  Elle devient alors une entreprise de spectacle avec des acteurs au profil jusque ici inconnu à l’UEFA.

Klaus Hempel et Jürgen Lenz (ex salariés d’ISL, division marketing d’Adidas) sont les deux concepteurs de la Ligue des Champions. Leur entreprise, TEAM (Television Event and Media Marketing) devient partenaire commercial de l’UEFA. Le concept consiste à faire de la Ligue des Champions une marque identifiable avec logo, habillage télé, hymne.

Les retransmissions  télés des matches sont les moteurs de l’opération  destinée à valoriser l’élite des clubs européens. Silvio Berlusconi est l’autre promoteur de l’opération. Propriétaire du Milan AC, il prépare la création de Mediaset, son empire média, fondé en 1993. Berlusconi est le fer de lance des clubs les plus riches, lesquels, en particulier en Angleterre, réclament un traitement privilégié.

Les formules successives de la Ligue des Champions vont clairement dans ce sens, finie la Coupe d’Europe des clubs Champions. Des équipes classées deuxièmes participent à la compétition à partir de 1997, puis troisièmes et quatrièmes depuis 1999. Les principaux championnats sont privilégiés. Cette saison, cinq équipes anglaises sont en phase de groupes de la Ligue des Champions. La saison prochaine, la Premier League, la Bundesliga, la Liga et la Série A compteront quatre clubs directement qualifiés en phase de groupes, soit la moitié des participants.

En Angleterre, la création de la Premier League est le résultat d’un processus entamé dès 1980 et très bien décrit par Teenage Kicks, le blog des Cahiers du Foot. Mécontents d’être “noyés” dans la Football League (qui gère les 92 clubs pros), les grands clubs veulent pour eux un statut plus avantageux, moins égalitaire.Les catastrophes successives dans les stades (Heysel, Bradford, Hillsborough) au milieu des années 80 provoquent une réforme radicale qui va dans les sens des grands clubs. Plus de sécurité, les hooligans sont chassés des stades, mais le public populaire aussi.  Le tout aboutit à la création en mai 1992 de la Premier League, une nouvelle entité à part entière comprenant les 20 clubs de l’élite. Dans ce processus, la création en 1989 de Sky TV a été déterminante. En faisant monter les enchères, ce nouvel opérateur génère des droits télés qui établissent la fortune de la Premier League.

C’est un complet changement d’époque. L’économiste Wladimir Andreff a déterminé deux modèles économiques du foot. Le premier, SSSL (Spectateurs, Subventions,Sponsors, Local) était dominant jusqu’en 1992. Depuis, c’est le second, MMMMG (Médias, Magnats, Marchandisation, Marchés et Fonds d’origine globale) qui domine, comme le note (page 11) Sport Eco, publication du Ministère de la Jeunesse et des Sports:

“Le modèle économique SSSL des clubs de football était prégnant dans les années 70-80, lorsque les droits audiovisuels étaient faibles. Le budget des clubs dépendait essentiellement des revenus de la billetterie et des subventions des collectivités territoriales. Aujourd’hui, sur les marchés européens, le modèle économique MMMMG s’est largement imposé. En effet, les clubs se développent via des fonds et des actionnaires mondiaux (bourses, investisseurs du Qatar ou d’Azerbaïdjan).

Ils imitent les stratégies des firmes multinationales par la mise en œuvre de politiques visant la pénétration de nouveaux marchés (Chine, Inde, etc.). Cette financiarisation du football s’inscrit dans un contexte de dérégulation du marché des transferts de joueurs qui ne s’est pas démenti depuis la décision rendue par la CJUE du 15 décembre 1995 (arrêt Bosman).”

L’arrêt Bosman, est venu de fait compléter la marchandisation du foot en provoquant la libéralisation du marché des joueurs en Europe comme l’a rappelé l’analyste financier Bastien Drut: “Après l’arrêt Bosman, les meilleurs joueurs des petits championnats ont été libres de rejoindre les clubs les plus riches, situés dans les gros pays”.

1992, l’avènement d’une nouvelle ère du foot pro. Mieux pensé, structuré, rationalisé, désormais une industrie du spectacle, ouvertement élitiste et tournée vers le profit. Une fois de plus, le foot constituait une bonne grille de compréhension du monde du moment. Les fameuses 90’s années fric naissaient aussi là, celles résumées dans cet extrait de l’article de Slate sur l’ouvrage dirigé par François Cusset: “Une histoire “critique” des années 90″ : (…) “cette «fin de tout et ce début de quelque chose», pour reprendre le beau sous-titre de l’ouvrage collectif, est l’illustration de la propagation au monde entier de la victoire idéologique du néolibéralisme, de la globalisation financière et de cette «mondialisation heureuse» volontiers vantée par les nouveaux maîtres-penseurs médiatiques omniprésents”.