,

LE FOOT EUROPÉEN SOUS l’EMPIRE DE LA MONDIALISATION

L’entrée de capitaux étrangers dans les clubs  constitue un processus en pleine accélération dans quatre des cinq plus grands pays de football européen (opération interdite en Allemagne). Dix clubs en France sont dans ce cas , plus d’une soixantaine au total: état des lieux de cette mondialisation galopante.

 


FRANCE

Clubs à capitaux étrangers (majoritaires en gras):

Ligue 1:  Paris SG, Monaco, Nantes, Nice, Marseille, Lille, Metz, Lyon.

Ligue 2: Auxerre, Sochaux, Le Havre, Lens.

Cette saison en L1, la mondialisation est le modèle gagnant:  les investisseurs étrangers sont présents dans les quatre actuels premiers clubs de L1 (Monaco, Nice, Paris SG, Lyon). Ce qui consolide une forme d’élite puisqu’ils composaient le quarté final du précédent championnat. Une élite qui s’est affinée, les trois premiers actuels (Monaco, Paris SG et Nice) se tenant en trois points tandis que Lyon, quatrième est relégué à treize unités de Nice. Ces trois là pratiquent un jeu séduisant, dans un championnat où on marque plus de buts que les saisons précédentes. En Ligue des Champions, les “ancêtres” de la propriété étrangère (Paris SG et Monaco depuis 2011) effectuent cette saison un parcours remarqué.  En ce moment, c’est donc l’embellie, comme le relate le quotidien suisse Le Temps

Un sigCaptureLTne de bonne santé pour le football français que cette nouvelle donne ? A priori oui, dans la mesure où des investisseurs étrangers le trouvent attractif. Mais ces investisseurs sont venus aussi compenser une double carence. Celle des propriétaires français de clubs qui ont dû passer la main et le fait qu’aucun repreneur de l’hexagone n’a été en mesure de les reprendre.

Et cela concerne tous types de clubs:  ceux donc des grandes villes, et aussi des clubs “historiques” (Lille, Sochaux, Nice, Le Havre), bien établis (Monaco, Nantes) et du terroir (Auxerre). Autre signal fort, seul Nice a fait appel à des investisseurs étrangers dans une logique maîtrisée de continuité de son développement.

Il y a donc là abandon de souveraineté du foot pro made in France. Il arrivait déjà rarement à intéresser les grands groupes, les grands industriels, les détenteurs de fortune, les mécènes. Ce désintérêt s’est clairement amplifié. Lorsque Serge Dassault, l’avionneur, et alors quatrième fortune de France a racheté la Socpresse, il a fait en sorte de se débarrasser en 2007 du FC Nantes qui appartenait à ce groupe de presse. Commentaire explicatif  de Serge Dassault: “Le foot ne m’a jamais intéressé, ensuite perdre de l’argent, cela m’intéresse encore moins”.

Margarita Louis-Dreyfus (15e fortune de France) ne l’a pas dit en ces termes lorsqu’elle a vendu l’OM à Frank McCourt, mais c’était bien l’idée. PSA, le neuvième constructeur automobile mondial, soutien historique du FC Sochaux, a vendu le club sans états d’âme, comme on se débarrasse d’une filiale branche morte. Et l’investissement de Franck Riboud, alors PDG de Danone (star du CAC 40),  pour Evian Thonon Gaillard s’est terminé en vaudeville entre dirigeants et liquidation judiciaire

Il ne reste donc plus chez les grands fortunés de l’hexagone impliqués dans le foot que François-Henri Pinault (septième fortune de France), à Rennes, sans relâche mais aussi sans grande ambition sportive. Et Jérôme Seydoux (Pathé), le financier de l’Olympique lyonnais des années Jean Michel Aulas.

CaptureVas

Nasser Al-Khelaifi et Vadim Vasilyev (Icon Sport)

Le foot français intéresse de moins en moins le tissu économique hexagonal mais attire des investisseurs étrangers. Il y a ceux qui investissent beaucoup. Cinq ans après l’arrivée des Qataris et de Rybolovlev, le Paris SG et Monaco ont beaucoup dépensé, plus d’un milliard d’euros à eux deux en transferts (692 M€ pour le Paris SG, 346 M€ pour Monaco) et cela paye actuellement au plan sportif.

A Nantes, Waldemar Kita annonce avoir investi plus de 100 M€ en dix ans. Cela ne se ressent guère…

A Nice et Marseille, si l’arrivée des investisseurs étrangers est récente, leur apport est tangible. Beaucoup moins à Lens, Auxerre, Sochaux et Le Havre et ce, de manière logique, vu leur faible investissement financier.

A Lille, Gérard Lopez n’est là que depuis fin janvier. Mais son montage du rachat du LOSC, voisin de celui du RC Lens (holdings offshore à tiroirs) préfigure un club où il sera beaucoup (surtout ?) question de trading. Et la compatibilité entre cette pratique et l’arrivée annoncée de Marcelo Bielsa constituera sûrement une des feuilletons de l’été.

L’arrivée de ces investisseurs étrangers a une forte influence sur le marché des transferts. Au plan financier les deux mercatos de la saison 2016/2017 sont édifiants. En L1 les clubs à capitaux français ont investi pour 46, 8 M€ en achats de joueurs. Les clubs à capitaux étrangers: 293, 8 M€. En L2, faute de données précises sur les transferts, le constat est tout de même celui d’un investissement financier globalement minime pour Auxerre, Sochaux, Le Havre et Lens.

Mais si les clubs à capitaux étrangers dépensent beaucoup en transferts, cela profite très peu aux clubs français. Depuis 2011, le Paris SG a dépensé pour 620 M€ à l’étranger, Monaco pour 273 M€. A comparer avec leurs achats en France: 72 M€ pour le Paris SG, 74, 5 M€ pour Monaco.

CaptureDep

Un déséquilibre de nature à accélérer encore  la vente de clubs français à des acheteurs étrangers ? C’est ce que pronostique, et il n’est pas le seul, Luc Arrondel (chercheur spécialisé dans l’économie du foot au CNRS) dans Sud-Ouest.

 

ANGLETERRE

Clubs à capitaux étrangers:

Premier League: Arsenal, Bournemouth, Chelsea, Crystal Palace, Everton, Hull City, Leicester, Liverpool, Manchester City, Manchester United, Southampton, Sunderland, Swansea, Watford, West Ham, West Bromwich Albion.

Championship: Aston Villa, Birmingham City, Blackburn Rovers, Cardiff City, Fulham, Leeds, Nottingham Forest, Queen’s Park Rangers, Reading, Sheffield Wednesday, Wolverhampton.

League One: Charlton, Coventry, Leyton Orient, Milwall, Peterborough, Sheffield United, Swindon.

League Two: Bristol Rovers

Depuis 1997 et la reprise de Fulham par Mohamed Al Fayed (Egypte), étape pionnière de la mondialisation, la toile s’est considérablement étendue. Les chiffres sont aujourd’hui vertigineux. 35 clubs pros anglais ont aujourd’hui des propriétaires étrangers : 16/20 en Premier League, 11/24 en Championship, 7/24 en League One, 1/24 en League 2.

L’arrivée des capitaux étrangers s’est faite en plusieurs étapes. De 2003 à 2011 chez les clubs les plus riches de la Premier League, créée en 1992: Arsenal, Chelsea, Liverpool, Manchester United et Manchester City (qui ont remporté 22 des 24 titres de champions de cette période). La dernière vague a été chinoise, dé décembre 2015 à l’automne 2016 à Manchester City (13 % du capital) et les achats d’Aston Villa, West Bromwich Albion et Wolverhampton.

CapturePL

Source: The Telegraph

En résumé, cela donne 35 clubs à propriétaires étrangers de 17 nationalités différentes, majoritairement américains (11 clubs), la Chine suivant avec quatre clubs, dans leur match au niveau du foot européen expliqué ici par Rafaelle Poli (directeur de l’Observatoire Football CIES). Plusieurs motivations pour  ces acheteurs. Pour tous un environnement économique favorable:  faible fiscalité, possibilité de comptes offshore (19 des 35 clubs à capitaux étrangers), gros revenus en droits télés.

Pour beaucoup l’appartenance à un club couru et de prestige: propriétaire d’un club anglais, comme on l’est des chevaux de course et des tableaux de maître. Pour les Chinois, c’est l’application de la doctrine économique étatique.

La propriété des clubs anglais est aussi celle des stades, générateurs de gros revenus. La Premier League connait actuellement une période de grands travaux ou de déménagements. Chez les clubs encore “anglais” comme Tottenham. Mais surtout chez ceux à propriétaires étrangers. Chelsea va rénover son stade, Liverpool vient de le faire, West Ham a quitté cette saison Upton Park pour le stade Olympique de Londres.

La gestion des revenus, c’est ce qui attire les américains dans le football anglais, avec leur savoir faire reconnu de rentabilité dans leurs sports domestiques. Mais ils incarnent aussi une mentalité de ligue fermée qui cherche à privilégier la rentabilité, la satisfaction des actionnaires et clients.  La Premier League serait une fin en soi. Liverpool n’a pas été champion depuis 1990, Arsenal depuis 2004, Manchester United l’a été en 2013 pour la dernière fois. Sous contrôle (majoritairement) américain) Arsenal semble se contenter de vivre sur son tas d’or (265, 98 M€), Liverpool végète, au regard de son passé, et Manchester United constitue un cas d’école de la mondialisation appliquée à la Premier League.

Le club mancunien occupe la première place des clubs les plus riches selon le classement Deloitte de janvier dernier. Une course aux profits à marche forcée selon des méthodes dénoncées en 2015 par le groupement officiel des  supporters du club, lequels accusaient les propriétaires d’avoir récupéré plus d’un milliard d’euros sur le dos du club. Lesquels propriétaires continuent imperturbablement à empiler les sponsors (plus de 70) et se flattent qu’à la bourse de New York; Manchester United est valorisé à 2,5 milliards d’euros.  Cinq fois plus que le deuxième club le mieux valorisé,  Borussia Dortmund (454 M€) à la bourse de Francfort.

CaptureFF

Source: France Football

La prise de contrôle des propriétaires américains a provoqué la création d’un club dissident le FC United of Manchester en 2005 par les supporters. Et ceux qui restent ne sont pas épatés par la politique du club. Andy Mitten tient un fanzine United We Stand depuis 1989. Et il s’inquiète du peu d’ambiance des matches de Manchester United à domicile. Le même constat que Philippe Auclair, lequel y a consacré un dossier dans France Football . Derrière le flatteur taux de remplissage des stades en Premier League (95, 9 %) il y a la désertion des abonnés, leur vieillissement (55 ans de moyenne à Chelsea), la chute du t-aux d’audience des matches à la télé ( – 25 % depuis 2010). Et l’uniformisation des stades qui ont perdu leur âme comme le dit Nick Hornby l’écrivain supporter d’Arsenal: “L’architecture des nouveaux stades participe à l’érosion de l’émotion. Tous sont en forme de bowls”. L’américanisation, toujours, et de manière étonnante puisqu’à l’inverse, l’ambiance et l’engouement sont de plus en plus relevées en MLS. 

 

ALLEMAGNE

Si la mondialisation est présente dans les clubs allemands par des sponsors étrangers , la réglementation interdit à un investisseur, allemand ou étranger, de devenir majoritaire et donc de posséder le club, qui est la propriété de ses membres, à l’instar du système des socios. Explication par Quentin Guéguen :

« Un club allemand doit être, à 50% + 1 action minimum, la propriété de ses membres. Cela empêche l’arrivée d’actionnaire majoritaire qui prendrait le contrôle du club depuis l’extérieur. Si cela plait à la grande majorité des clubs, quelques voix se lèvent de temps en temps pour essayer de l’adoucir ou le supprimer, c’est notamment le cas de Martin Kind, le président de Hanovre, qui est un fervent opposant à cette règle. Kind pourra bientôt acheter l’entièreté du club s’il le veut, car la règle stipule également qu’une personne peut acheter la totalité du club s’il le soutient depuis 20 ans.

C’est le cas par exemple de Dietmar Hopp à Hoffenheim qui l’a fait récemment. Il y a quelques exceptions historiques, à Leverkusen et à Wolfsburg, et un club qui contourne le système, Leipzig. Le 50+1 est une condition sine qua non pour obtenir sa licence afin de jouer dans les deux championnats organisés par la DFL, la Bundesliga et la 2. Bundesliga.

 

ESPAGNE

Clubs à capitaux étrangers majoritaires (en gras)

Liga: Valence, Malaga, Grenade, Espanyol Barcelone, Atletico Madrid

Segunda Division:  Girona, Mallorca, Oviedo, Alcorcon

Segunda Division B: Lorca, FC Jumilla

Si la mondialisation est passée en Espagne, elle a dû contourner quatre clubs en ce qui concerne leur propriété: Le Real Madrid, le FC Barcelone, l’Athletic Bilbao et le Club Athletico Osasuna, tous les quatre détenus par leurs socios.

Historiquement, c’est le Malaga CF le premier club espagnol à être devenu, en juin 2010, propriété étrangère, celle du qatari Abdullah Ben Nasser Al Thani. Une propriété avec des opérations financières internes qui constituent une fable du foot business moderne: en 2015/2016 le club a en effet effectué un prêt à son propriétaire ! Le Real Oviedo, deuxième club à être passé sous pavillon étranger a constitué également un cas épique. Sollicité par ses supporters qui s’étaient mobilisés financièrement, le mexicain Carlos Slim, l’homme le plus riche du monde, a accepté d’investir et de devenir en novembre 2012 propriétaire du club via son conglomérat, le groupe Carso. Ont suivi le mouvement Marbella (Russie) en 2013, Valence (Singapour), Alcorcon (Belgique) en 2014, Girona (France) en 2015 et Mallorca (Etats Unis en 2016). 

f560a

Source: L’Equipe du 30 décembre 2015. Il faut y ajouter Grenade (Liga)

Mais c’est l’offensive de la Chine sur le football espagnol qui a été la plus notoire. Elle a commencé en 2015 par l’entrée à hauteur de 20 % du capital ( pour 45 M€) de l’Atletico Madrid (Dalian Wanda Groupe, conglomérat tourisme, hôtels, cinémas), suivie par la prise de contrôle en janvier 2016 de l’Espanyol Barcelone (Rastar Groupe, jeux et jouets), en mai 2016 de Grenade ( Desports, filiale de Wuhan DDMC, phosphate), en juillet 2016 de Lorca (Xu Gen Bao, ex joueur, entraineur, sélectionneur chinois).

La Chine  est présente via des accords de sponsoring maillots ou partenariat à la Real Sociedad et au Rayo Vallecano (QBAO, informatique), Eibar (Hupu, information sports), Villareal (XTEP, sportswear, Doogee, smartphones, Wanda Project, entrainement joueurs en Chine).

Le bon côté de la mondialisation a profité à l’Atletico Madrid avec Dalian Wanda Groupe (injection de 45 M€, réduction de la dette du club, aide au financement su nouveau stade) dans un club qui connait de très bons résultats sportifs. Le pire c’est le FC Valence, racheté par le singapourien Peter Lim, lequel a embarqué le club dans une spirale infernale: transferts au service de Jorge Mendes sans logique sportive et panne de résultats (le club est actuellement 15e en Liga). Chez les clubs à propriété étrangère, Malaga est 14e, Grenade 19e.

La mondialisation a donc atteint l’Espagne, mais très peu au sommet de La Liga. Chez les quatre actuels premiers (et habituels) de la Liga (Real Madrid, Barça, FC Séville, Atletico Madrid) seul ce dernier est concerné, mais de manière minoritaire. Pour le reste, à noter l’offensive de la Chine, qui fait de l’Espagne une sorte de champ d’expérimentation diversifié à grande échelle.

 

ITALIE

Clubs à capitaux étrangers majoritaires (en gras)

Série A: AS Roma, Inter Milan, Bologne, Juventus Turin

Série C: Venise, Reggiana

En Italie, l’arrivée d’investisseurs étrangers ne se fait pas vraiment dans la simplicité. Il y a eu beaucoup d’échecs (Parme, Pavie, Pise, Monza) et de deals compliqués. Seul l’Inter de Milan y a échappé mais avec tout de même deux propriétaires successifs. Fils du légendaire pétrolier et propriétaire du club (Angelo Moratti) Massimo  Moratti, qui avait pris la suite, a vendu en septembre 2013 la majorité des parts à Erick Tohir, businessman indonésien. Lequel les a revendus en juin 2016 à Suning (Chine, électronique et e commerce).

Pour les autres, cela relève du casse tête. Le Milan est embarqué dans un long tunnel de négociations entamé il y a bientôt deux ans. Cela avait commencé avec l’offre de reprise de “Mr Bee” (Taechaubol) un businessman thailandais, un premier feuilleton d’un an terminée en farce. Un second est en cours, avec un “closing” prévu début mars pour une reprise par un fonds chinois (Sino-Europe Sports). Une opération financière ultra complexe, les fonds partant de Chine passant par Hong Kong, les Iles Vierges Britanniques et le Luxembourg avant d’arriver à Milan.

Les tribulations dans le foot italien de Joe Tacopina, avocat new-yorkais sont tout aussi rocambolesques. En 2011, il fait partie de l’association d’américains repreneurs de l’AS Roma. En 2014, il quitte Rome pour devenir président de Bologne (repris par le canadien Joey Saputo, déjà propriétaire de l’Impact Montréal). En 2015, départ cette fois pour Venise, club qu’il reprend avec des associés américains au russe Yuri Karablin lequel avait provoqué la troisième liquidation du club en 10 ans !

CaptureJU2

Juventus. Les fonds d’investissement constituent 36, 2 % de son capital.

Dans cet univers de commedia dell’arte, la Juventus Football club (son nom officiel) pourrait faire office de valeur refuge du foot italien. Mais cela n’est pas si simple. En effet l’actionnariat du club est ainsi composé, sur son site officiel: Exor SPA (63, 8 %), free floating (26, 2 % partagés entre fonds d’investisssement), Lindsell Train Ltd (10 %, fond d’investissement). Pas grand chose d’italien là dedans au premier abord. En fouillant bien, on y trouve la famille Agnelli qui détient 53 % de sa holding, Exor SPA, laquelle possède la majorité des parts du club. Donc sur le papier la Juve reste un club majoritairement détenu par des Italiens. Sauf qu’Exor SPA a été délocalisé aux Pays Bas en septembre dernier, pour des raisons fiscales….

En tout cas, les comptes de la Juventus sont florissants. Au 31 décembre dernier, sur un semestre, les indicateurs étaient quasiment tous à la hausse par rapport à un an plus tôt: Recettes (+ 54 %),  solde positif transferts (+ 23 %), résultat net (+134, 8 %).