SUPPORTERS: 2016, UNE ANNÉE ULTRA CONTRASTÉE

Du plaisir foot, il y en a eu en 2016. A l’Euro: le parcours des Bleus, de France et d’Italie, le plaisir victorieux des supporters portugais; la grande sarabande des Islandais, des Gallois, des Irlandais de tous bords et beaucoup d’autres encore. Nice et Monaco ont mis dans leur jeu des séquences venant d’un coup estomper la morosité conservatrice ambiante. La Ligue 2 a gagné en intérêt cette saison et les supporters marseillais ont vu en Frank McCourt un motif d’espoir, enfin. 

La décision de Nasser Al-Khelaifi, le président du Paris SG, de faire revenir des Ultras au Parc des Princes  a rompu de manière spectaculaire avec une tendance lourde, celle de la culpabilisation des supporters en France.  

Car 2016 a été une nouvelle année noire pour la liberté d’expression et de circulation des supporters de foot. Une année symbolisée par le traitement subi en particulier par ceux du RC Lens et de l’AS Saint Etienne, les deux clubs aux racines les plus populaires en France. Récit de cette année contrastée.


 

L‘Euro aura été très instructif, en plein et en creux. Ceux qui voulaient se montrer l’on fait. Ceux que l’on voulait voir, les supporters des pays qualifiés, pour une fête dans les tribunes et dans la rue. Ceux, aussi,  que l’on ne voulait pas voir , les commandos hooligans de Poutine, les groupes d’extrême droite européens.

On a eu la confirmation, avec l’exonération fiscale accordée à l’UEFA et ses sociétés satellites, de la soumission des Etats au sport business.

La confirmation aussi de la soumission, en France, de l’Etat et des collectivités locales, aux lois du marché et des actionnaires au détriment des citoyens et contribuables avec les PP pour les stades.

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En haut:  cortège des supporters hongrois à l’Euro. En bas:  tribune Magic Fans fermée à Saint Etienne

Et les supporters de foot en France ont été soumis à constater que pour eux, l’Euro n’aura été qu’un court répit . Les cortèges en ville, les supporters qui se mélangent, leur libre circulation, c’était pour la photo, le folklore, un clip vidéo de la France qui sait recevoir.

Une courte récré dans une année marquée une nouvelle fois par la fuite en avant répressive des pouvoirs publics, des clubs et des instances à l’encontre des supporters.Le traitement réservé à ceux du RC Lens peut clairement servir de fil rouge pour 2016.

Les incidents de fin janvier au Havre, pour lesquels ils ont d’abord été accusés, ont servi de caution pour les promoteurs de la Loi Larrivé. Et si la justice, début septembre, a très nettement atténué la responsabilité des supporters lensois, le train ultra-sécuritaire était sur les rails.

Il n’est pas anodin qu’en 2016, les clubs et les pouvoirs publics s’en soient pris  à plusieurs groupes ultras: Red Tigers (Lens), Magic Fans (Saint Etienne), Brigade Loire (Nantes), la Horda (Metz) en particulier.

Ce qui provoque cette crainte légitime, celle de voire diminuer, sinon  disparaître, la liberté d’expression et donc de contestation dans les tribunes. La CNIL a exprimé le 15 décembre de sérieuses réserves quant à la rédaction initiale du décret d’application de la Loi Larrivé. Le texte final, publié le 28 décembre fait actuellement l’objet d’étude approfondie de la part de juristes qualifiés dans la défense des supporters. Affaire à suivre.

 

Traquenard au Havre pour les supporters lensois

L’actualité des supporters a pris un mauvais tour dès le début de l’année. Le 30 janvier au Havre, des incidents avec les forces ont lieu sur le parking et aux abords du stade Océane. Des supporters lensois, membres des Red Tigers, identifiés par les stadiers du club nordiste, sont accusés de les avoir provoqués. 14 de leurs membres sont interdits de stade, avec obligation de pointer au commissariat à l’heure des matches du RC Lens et des matches de l’Euro au stade Bollaert. Ils sont soupçonnés de “violences en réunion, violences avec arme dégradations, outrages”.

Prévu le 1er juin, le procès au tribunal correctionnel de Béthune a lieu finalement le 7 septembre. Le vice-procureur requiert de six mois a un an d’interdiction de stade pour tous les prévenus. Mais le verdict permet de faire la lumière sur le réalité des faits. Sept supporters sont relaxés, les autres sont condamnés à un mois d’interdiction de stade, assorti d’amendes allant de 200 à 300 euros.

C’est donc bien la version des Red Tigers, exprimée le lendemain des incidents dans l’Equipe par Pierre Révillon, leur président, qui était la bonne. Deux heures d’attente sur le parking pour les supporters, aucune commodité (restauration, toilettes), entrée au stade pour 1200 personnes par une seule porté étroite à dix minutes du coup d’envoi. Un véritable traquenard.

Commentaire du verdict par l’avocate des Red Tigers, Hélène Detrez-Cambrai, dans L’Avenir de l’Artois: “Avoir des relaxes prononcées par le juge, c’est rare pour les supporters de foot. Je pense qu’il a pris en compte les moyens disproportionnés mis en place: 18 ou 19 grenades (lacrymogènes), des tirs de flash-ball. La situation était réellement mal gérée. Les peines d’interdiction de stade d’un mois sont des peines de principe (…).”

Verdict à rapprocher à la situation faite aux supporters concernés. Tous interdits de stades, sous les deux régimes, IDS (Interdiction De Stade) et IAS (Interdiction Administrative de Stade) d’avril à septembre, avec obligation de pointage au commissariat pendant les matches du RC Lens, ceux de l’Euro au stade Bollaert et ceux de l’Equipe de France. Aujourd’hui, l’un d’entre eux est toujours soumis à une Interdiction Administrative de Stade, une exception devenue automatique comme l’explique ici Pierre Barthélemy avocat de l’Association Nationale des Supporters

Et en décembre, nouveaux mauvais traitements réservés aux supporters lensois, pour la célébration des 110 ans du RC Lens. Un effarant cocktail d’incompétence de la part du club et de paranoïa répressive de la part de la sous préfecture. Malgré les concessions répétées des Red Tigers, organisateurs des festivités, cela s’est terminé par des pressions insensées:

15625644_713643662132379_4601760614002195296_omenace de dissolution par Gervais Martel, le président du club, d’aller en prison par la sous-préfète. Et un devis de 9.600 € (refusé) présenté par les services de police pour encadrer un cortège. Une affaire expliquée par les Red Tigers dans ce communiqué.

Extrait révélateur: “Pour des festivités des 110 ans, nous avons porté ce projet à bout de bras, sans que le club ne se montre véritablement impliqué pendant de longues semaines, les dirigeants ont à nouveau réussi leur tour de force: attendre qu’on leur serve un programme original sur un plateau, qu’on le mène quasiment jusqu’au bout, s’accaparer des mois de travail de la part de nos membres, pour enfin nous “planter dans le dos” deux jours avant ce 17 décembre”

Des festivités gâchées au cours desquelles un supporter, @RCLarchives se rend compte que le RC Lens diffuse des vidéos qui sont en fait ses montages, que l’on peut trouver ici: Une diffusion sans le logo de RCLarchives, ni lien, ni mention de l’origine des videos. Un nouvel exemple des relations entre le club et ses supporters, que rappelle ici le créateur de ce site d’archives:

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Deux témoignages de la manière avec laquelle aujourd’hui un club se permet de mépriser des supporters dont la fidélité au stade constitue une part importante des recettes du RC Lens. Pour rappel, cette saison Lens (36.000 habitant) dispose actuellement de la cinquième moyenne de spectateurs à domicile (26.862), tout en étant en L2. Ceci alors que le club a connu depuis 2007 de continuelles déconvenues sur le plan sportif et une gestion catastrophique du club. Racheté en mai dernier par la société Solferino (avec l’Atletico Madrid en actionnaire minoritaire), le RC Lens est le premier cobaye en France du combo:  propriété d’un fond d’investissement délocalisé (Luxembourg et Londres) associé à un club étranger. Au mercato d’été, le club a investi pour 1, 15 M€ en transferts et vendu pour 11, 75 M€.

A Saint Etienne, une bel anniversaire mal terminé pour les Magic Fans

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Soirée 25e anniversaire des Magic Fans au stade Geoffroy Guichard (Furania Photos)

A Saint Etienne, les supporters, les Magic Fans en particulier ont connu également un problème d’anniversaire, celui fêté le 29 octobre pour le 25e anniversaire de leur groupe. Ce soir là, pour le match contre Monaco, les Tribunes Nord (Magic Fans) et Sud (Green Angels) avaient enflammé le stade Geoffroy Guichard.

Avec des tifos et animations qui avaient fait l’unanimité. Une grosse fête, mais avec des “fumis” (fumigènes) le marqueur historique entre les ultras et les instances. Les premiers utilisent les fumis pour leur côté festif, mais aussi transgressif. Les secondes ignorent le festif et châtient la transgression.

Résultat de la soirée anniversaire ? Deux matches de suspension de la partie basse de la tribune Paret, le territoire de base des Magic Fans. A la différence du cas lensois, les dirigeants de Saint Etienne ont publié un communiqué de soutien aux Magic Fans, lesquels pourtant ne les ménagent pas dans leurs banderoles.

L’état major stéphanois  affiche, publiquement en tout cas, son soutien aux ultras. A Lens, les dirigeants les affrontent, à Nantes, les ultras s’opposent à la politique de Waldemir Kita. A Metz, l’affaire des pétards contre Lyon a provoqué des mesures radicales de la part du président Bernard Serin à encontre du groupe ultra La Horda: rupture des relations et fermeture de la tribune Est basse où ils se regroupent.

Des mesures disproportionnées pour l’Association Nationale des Supporters, laquelle s’en est ouverte par courrier au Président du FC Metz, Bernard Serin (voir cet tweet):

2016 n’a pas donc précisément été l’année du rapprochement entre les groupes de supporters d’un côté, certains clubs, la LFP et les pouvoirs publics de l’autre.

Effectué en juillet dans ce blog, le bilan d’étape sur le relationnel entre les parties était déjà contrasté. D’un côté il y avait des constats alarmants: l’explosion du nombre d’interdictions de déplacements, l’application de la doctrine punitive d’Antoine Boutonnet (patron de la Division Nationale de lutte contre le hooliganisme, contaminant notoirement des Préfets et sous Préfets. Avec pour résultat 218 interdictions de déplacement de supporters pour la saison 2015/2016, un record. Un paranoïa démagogique battue en brèche pendant l’Euro par la libre circulation des supporters, à part les cas isolés de Marseille.

Autre constat alarmant, le mépris manifeste de la LFP et de la FFF pour les supporters et leurs représentants, qui en étaient restées à leur refus de tout dialogue comme en février 2015 aux deuxièmes assises du supportérisme.

Il y avait pourtant un espoir, dont faisaient alors état dans ce blog Pierre Barthélemy (avocat de plusieurs associations de supporters), James (porte-parole de l’Association Nationale des Supporters) et Ronan Evain (coordinateur du programme « FSE – Fans’ Embassies » chargé d’accueillir les supporters à l’Euro-2016).  Une fenêtre semblait s’ouvrir selon eux:

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Dialogue: L’espoir de l’été a disparu en décembre

En décembre, le constat n’était plus du tout le même. Voir ce courrier de l’ANS à la LFP début décembre, relayé dans un article du Monde 

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Dans la lettre de l’ANS à la LFP, il y a cet avertissement: « Le dialogue est actuellement inexistant. Les éléments les plus radicaux des supporteurs se nourrissent de cet état de fait difficilement acceptable et raillent désormais l’ANS qui a eu la naïveté de croire au dialogue et d’inciter les tribunes françaises à s’inscrire dans cette optique. Nos efforts et notre ouverture d’esprit nous sont désormais opposés par certains supporteurs, à raison (sic) du mépris affiché par les instances. (…) La situation est désormais explosive. »

La LFP avait annoncé son intention de recevoir l’ANS avant la fin de l’année. Cela n’a pas été le cas. La saison 2016/2017 est également celle des interdictions de déplacement, dans toutes les divisions. Pourtant, en profondeur, il existe une demande croissante d’information sur le mouvement ultra et les supporters en général dans le foot français. Voir en 2016 le nombre important d’articles à ce sujet. Dans Le Monde Blogs ,  Le Progrès de Lyon , le Huffington Post , Au Premier Poteau  , Vice Sports , Maze , le Journal du Dimanche . Et aussi un sujet de l’Equipe Enquête : “La France veut-elle éradiquer ses ultras ?”

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Mais en surface, la situation n’a pas évolué. L’Euro a parfaitement résumé ce qui, par exemple,  intéresse les grands médias audio visuels chez les supporters. Quand ils sont joyeux ou quand ils sont violents. Dans la charte des réalisateurs des matches de foot, les plans sur le public des stades vont chercher deux types d’émotion: la joie ou la peine.

Le supporter dans sa représentation, est contenu à cela. Les Ultras sont donc des marginaux. On ne peut pas les réduire, comme les autres occupants des stades, à des consommateurs à deux neurones/émotions. Les Ultras sont incontrôlables, ils ont des slogans, des banderoles, des comportements atypiques puisqu’ils ne sont pas moutons.

Et surtout, ils la ramènent, avec plusieurs groupes, dans plusieurs villes, à être rivaux mais pouvant aussi se concerter, être solidaires entre eux. Et ils ont même à des contacts à l’étranger ! :

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Il faudrait expliquer ce qu’ils représentent, ce qu’ils veulent, leur place dans la préservation du patrimoine club. Trop chiant pour les grands médias. Qui (est ce vraiment une surprise ?) collent très exactement au comportement des instances et pouvoirs publics par rapport aux groupes de supporters et Ultras. Puisque ces gens là ne correspondent pas aux codes assignés aux supporters de foot, on va les traiter comme des déviants. C’est très exactement ce qui se passe actuellement, et depuis des années.

C’est dans ce contexte que l’initiative de Nasser Al-Khelaifi, le président du Paris SG, a brisé le consensus des autorités. Dans un club durement marqué par la violence de certains de ses supporters, il a bataillé pour le retour des Ultras au Parc des Princes.

Seul contre tous, et surtout dans son propre club qui était devenu le symbole de la chasse aux supportes, dans des conditions condamnées par la CNIL. Et décrites ici par Mediapart lorsque Jean-Philippe D’Hallivillée (directeur de la sécurité) et un physionomiste, en présence même parfois d’Antoine Boutonnet, le patron de la DNLH, refoulaient des supporters de manière totalement illégales.

Contre des dirigeants de son propre club et les instances du foot, Nasser Al-Khelaifi a obtenu le retour des Ultras. Une situation étrange, laquelle va être à suivre dans la grande saga des présidents de clubs et les groupes de supporters. A rebours de la globalisation facile dans laquelle on rassemble les supporters, à chaque club sa situation spécifique.

C’est aujourd’hui l’idylle entre le président du Paris SG et les Ultras parisiens. Ailleurs, ces derniers et les groupes de supporters,  les relations sont contrastées. A Nantes, la Brigade Loire est en bagarre avec Waldemar Kita, le président. A Lyon les Bad Gones se sont signalés en 2015 par un tifo nord-coréen à la gloire de Jean Michel Aulas.

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Qu’en sera t-il du sort des supporters en 2017 ? L’approche des élections, présidentielles et législatives, n’est pas de nature à espérer voir infléchir le tour sécuritaire. La LFP va -elle enfin allier les actes aux mots en termes de dialogue ?

La France, en 2016, a été le theâtre d’une fête du foot, l’Euro. Mais cette année restera aussi marquée par le traitement déshonorant infligé aux supporters lensois, en janvier au Havre et en décembre pour le 110e anniversaire du club qu’ils soutiennent.