UN CRI D’ALARME SALUTAIRE

Dans un entretien à France Football du mercredi 28 octobre,  André Soulier, président de la Commission juridique de la LFP s’attaque aux dérives actuelles du football business. Il décrit une réalité jusqu’ici plutôt niée et occultée dans les instances, met en garde les acteurs de la L1 dans un monde du foot en manque avéré de contrôles et de régulation.


 

Avocat spécialiste en droit pénal des affaires, à la délinquance financière,  au  droit du sport, André Soulier suit de près l’actualité du football business, ses circuits financiers. Il a produit en avril dernier un rapport sur le TPO pour la LFP. L’avertissement qu’il lance dans France Football est à prendre au sérieux. Ce qu’il décrit, le monde opaque des fonds d’investissement face au manque avéré de moyens d’investigation et de contrôle des instances du foot est une réalité.

André Soulier la décrit ainsi dans France Football :

«  L’argent peut tout acheter. Des jeunes de dix-neuf ans à 80 M€ par exemple. Le foot est devenu un secteur marchand très fort dans l’économie mondiale et nationale. Le problème, c’est qu’il échappe à beaucoup de règles par rapport à sa nouvelle puissance.(…) Dans le foot actuel, beaucoup de gens, parfois pas très clairs, ont énormément d’imagination. (…) 

Nous ne possédons pas, aujourd’hui, les moyens d’investigation suffisants pour maîtriser les nouvelles dispositions contractuelles, les nouvelles pratiques et, surtout, l’origine des fonds qui sont injectés dans le football. (…) Il faut savoir d’où viennent ces millions pour que ces opérations, qui touchent notamment les transferts, ne soient pas des actions qui s’apparentent à du blanchiment d’argent et qui relèveraient donc du Code pénal. » 

“Il est plus facile et moins risqué de se procurer des fonds dans le football pour mener des guérillas que d’aller attaquer un hypermarché !”

Le constat établi par le spécialiste de la déliquance financière est clair :

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André Soulier

« La conséquence, c’est qu’il est aujourd’hui plus facile de faire de l’argent dans les zones troubles du football que d’aller braquer une banque ! Il est plus facile et moins risqué de se procurer des fonds dans le football pour mener des guérillas que d’aller attaquer un hypermarché !   

Il est urgent de mettre en place des moyens forts de contrôle. Il faut profiter de la grave crise de la FIFA qui découle en grande partie de l’usage de l’argent, de ses circuits, de l’utilisation des moyens. On a un besoin absolu de savoir d’où vient l’argent de certaines transactions qui alimentent le milieu du football. »

Questionné sur la possibilité de voir des réseaux mafieux, voire terroristes, se financer par les transferts dans le monde et en France, André Soulier n’écarte pas l’hypothèse : 

« Pour avoir plaidé nombre d’affaires pénales, à tous les étages de la société, du malandrin d’occasion aux professionnels du braquage, il y a toujours un rapport entre le risque et le magot qu’on convoite. Plus le rapport financier est grand, plus on prendra de temps et de risques pour l’assumer. Quelqu’un qui attaque une banque peut être condamné à vingt ans de réclusion  criminelle. 

Mais quelqu’un qui fait un coup sur un footballeur avec de l’argent de provenance malsaine, il est puni de quoi ? D’une peine sur le blanchiment. Jamais il ne sera condamné à vingt années de réclusion. Alors, entre le risque et le rendement, il n’y a pas mieux que ce système des transferts qui peut d’ailleurs être dupliqué à d’autres sports. Donc, effectivement, ça peut être une tentation pour des groupes insurrectionnels et terroristes. On est à la marge. »

“On ne peut pas décupler les moyens financiers sans renforcer considérablement les moyens de contrôle. Il en va de l’équité sportive.”

Le président de la Commission juridique de la LFP prend pour exemple le TPO comme moyen de faire circuler des fonds qui peuvent être de toutes origines :

« Ceux qui doivent décider de l’homologation d’un transfert peuvent être dans l’ignorance absolue de l’origine des fonds qui vont alimenter une partie du mécanisme. Je le redis : ça peut être un parrain colombien, des yakuzas, des triades chinoises ou pire encore !  

On ne peut pas tout interdire à l’heure où les clubs cherchent des moyens de financement. Il faut surtout tracer l’argent. Mettez le mot “traçabilité”dans les textes et vous commencerez à assainir les choses. Nous sommes au début de l’histoire. On ne peut pas décupler les moyens financiers sans renforcer considérablement les moyens de contrôle. Il en va de l’équité sportive. 

Si les clubs français mettent le doigt dans l’engrenage, la main risque d’y passer. Je vais donner un conseil aux fonds d’investissement. Ils n’ont qu’à acheter une banque! Comme ça, ils pourront faire une autre forme de TPO à l’abri de la banque. Une banque peut parfaitement gérer ces financements. 

Contrairement à certains fonds opaques, elle est soumise à une série de contrôles, non seulement de la Banque de France, de la Banque centrale européenne, mais également des mécanismes de contrôle comme Tracfin (°). Mon petit doigt me dit d’ailleurs qu’on se préoccupe désormais de tout cela au ministère des Finances, mais également à celui de la Justice. » 

André Soulier se comporte ainsi en lanceur d’alerte. Son activité d’avocat d’affaires, son statut de président de la Commission juridique de la LFP, lui font mesurer l’écart entre la réalité et le contenu des contrats de joueurs, faute de moyens d’investigation et de contrôle.

Il a produit en avril dernier un rapport sur le TPO pour la LFP (avec Loïc Morin et Emilie Marcheval) qui a recensé les positions des clubs français.,  A priori 73 % sont contre, 20 % pour, 6% ni pour ni contre (le même règlement doit s’adapter à tous).

 Arguments des clubs français pour le TPO:

Besoin urgent de nouvelles sources de financement suite à la frilosité des banques.

Impossibilité de concurrencer les clubs espagnols et portugais puisqu’aucun correctif n’est apporté par les instances contre cette concurrence inégale.

Rationalisation des indemnités de transferts. Avec le TPO, ces montats sont gérés dans des fonds d’investissement par des spécialistes dont le métier est de valoriser les produits financiers.

Arguments des clubs français contre le TPO :

Raisons éthiques : le joueur ne doit pas devenir un pur produit de spéculation. Le montage du TPO est assimilé à de l’esclavage moderne.

Méconnaissance des fonds d’investissement, de leurs ramifications, de leurs dirigeants. Manque de transparence sur l’origine de l’argent des fonds.

Crainte d’une forte influence et/ou pression des fonds afin de revendre un joueur pour une plus value maximale sans intégrer la dimension sportive (le conserver) pour le club. Donc risque d’instabilité contractuelle.

Impact sur la capacité de gouvernance des clubs soumis aux impératifs de rentabilité des fonds.

Risque sur l’intégrité des compétitions (joueurs de clubs adversaires mais appartenant au même fond).

Risque inutile par rapport aux ressources financières existantes.

Danger de spéculation sur les joueurs qui augmentent de manière artificielle le montant des transferts.

Dans leur grande majorité, les clubs français se disent opposés aux contacts et à l’utilisation des fonds d’investissement. Lesquels sont très vraisemblablement présents à l’AS Monaco, club sous très forte de Jorge Mendes, le super agent. L’Olympique de Marseille dit utiliser Doyen Sports, le fond d’investissement, comme carnet d’adresses (départ d’Imbula, arrivées de Michel et Rolando). L’avenir dira si Doyen Sports en reste au statut de conseil ou non). 

Le cri d’alarme d’André Soulier est salutaire. Reste à savoir s’il sera suivi d’effets par les instances du foot, à commencer par la FFF et la LFP.  Lesquelles n’ont pour le moins pas spécialement brillé par leur volontarisme dans ces domaines de la régulation et du contrôle.

(°) Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins) est un organisme dépendant du ministère de l’Économie et des Finances, chargé de la lutte contre le blanchiment d’argent.